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jugé. Il était abondant, et les anciens Salons ont reçu beaucoup de ses ouvrages de 1773 à 1799. Il cherchait le style, et il aimait la nature ; il réussissait dans le genre historique et dans le portrait. Chose à noter ! Il a traité quelques sujets que David s’est appropriés plus tard avec un très grand succès. C’est ainsi qu’il a exposé en 1777 Bélisaire, réduit à la mendicité, secouru par un officier des troupes de l’empereur Justinien, et qu’en 1781 on vit de lui un Combat des Romains et des Sabins, interrompu par les femmes sabines. Ces mêmes sujets furent repris par David, le premier en 1785, le second en 1795. On dirait que la lutte entre la nouvelle école et celle que l’on considérait comme appartenant à l’ancien régime s’établissait et se poursuivait sur un terrain commun. En cela, l’esprit d’antagonisme de David n’était pas douteux.

Vincent, en face de son grand rival, avait un atelier d’élèves bien dirigé et très suivi. Il était homme de sens et trop sage pour entrer en contradiction flagrante avec des idées dont il ne méconnaissait point la valeur. Au fond, il était plus combattu qu’il ne combattait lui-même. Il ne fallait pas lui demander de changer sa manière ; mais par la force d’un ascendant facile à comprendre, quelque chose de l’esprit nouveau pénétrait autour de lui, et il n’y faisait pas obstacle. Les ouvrages de David étaient un moyen de propagande plus puissant que son enseignement ; ils étaient admirés. Néanmoins l’école de Vincent a sa marque. Elle a du naturel et ne tombe pas dans l’affectation sculpturale. Pour s’en rendre compte, il suffit de se rappeler qu’Horace Vernet y a étudié, et il faut songer aux ouvrages de M. Heim. L’artiste qui a obtenu le prix de Rome avec le charmant tableau de Thésée vainqueur du Minotaure, qui a peint le Martyre de sainte Agathe et celui de Saint Hippolyte, — Charles X distribuant les récompenses à la suite du Salon de 1824, et plusieurs autres belles toiles, cet artiste était dans une voie très différente de celle qu’avaient suivie Gérard et Girodet et que d’autres suivaient après eux.

Vincent était entouré de beaucoup d’estime. Aussi dès le principe fit-il partie de la section de peinture de l’Institut national. L’année précédente, en 1794, il avait été nommé professeur. Il parlait, dit-on, avec facilité, sans compter les paroles, et il écrivait d’une façon claire et précise. Quand il cessa d’avoir un atelier ouvert, il envoya ses élèves étudier le nu chez Guérin, sans renoncer toutefois à donner des conseils. Il existe à l’École des Beaux-Arts un portrait de Vincent : il est peint en demi-figure. La tenue du peintre est soignée, ses traits sont fins et réguliers. Derrière ses lunettes, l’homme vous regarde d’un air circonspect et paisible. Il a sa palette à la main : les couleurs y semblent méthodiquement rangées et le mélange en est discret. C’est aussi une palette bien tenue et