Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maladie de langueur, et une douleur sans remède remplit pour toujours les deux cœurs aimans qui avaient enveloppé cette enfant unique du tendre concert de leur amour. Mais, comme un adoucissement à leur peine, il leur restait à tous deux un sentiment rare après une semblable épreuve, sentiment qui allait bientôt trouver à s’épancher : ils aimaient la jeunesse.

Vers ce triste moment, la direction de l’Académie de France à Rome étant sur le point de vaquer ; on fut généralement d’avis que M. Alaux convenait à cette situation importante. En vérité, quand on y songe, personne n’était mieux préparé que lui à bien remplir les obligations qu’elle impose. Ses travaux par leur variété lui avaient donné une connaissance de la théorie et de l’histoire de l’art, peu commune parmi les artistes de son temps. Il avait beaucoup pratiqué et aussi il avait beaucoup appris. Son esprit s’était singulièrement ouvert et son jugement beaucoup exercé. Les études classiques, il les avait faites aussi bien et mieux que la plupart des peintres contemporains. De plus, n’avait-il pas abordé la peinture historique avec succès ? et n’avait-il pas rétabli avec une compétence indiscutable l’ouvrage d’un maître de la Renaissance ? Passionné pour son art, il s’était rendu maître de tous les styles, et il était capable de s’y plier. Cette sorte d’érudition le rendait le plus libéral des hommes. Si l’on joint à cela la grande expérience qu’il avait acquise de la vie d’artiste, de ses illusions et de ses traverses, on reconnaîtra qu’il était le directeur le plus éclairé que l’on put choisir. Tandis que secondé, comme il devait l’être, par son excellente compagne, il allait rendre, autant qu’il était possible, aux jeunes artistes, appelés à vivre autour de lui, les douceurs de la famille.

M. Alaux fut nommé directeur en 1846, et il vint occuper son poste au commencement de 1847. Il succédait à M. Schnetz qui, avec des qualités différentes, était entouré par les pensionnaires d’une grande sympathie. C’est alors que je vis M. Alaux pour la première fois. Il avait soixante-deux ans. C’était un homme détaille moyenne. Sa tête était forte. Son visage large était éclairé par des yeux pleins de finesse et par un sourire des plus bienveillans. Ses vêtemens étaient longs et son chapeau de forme un peu basse. Il s’appuyait sur une canne et avait la démarche lente d’un vieillard ; et l’on disait qu’il avait toujours été ainsi.

Il prit aussitôt son attitude d’ami des études et de directeur paternel. Il connaissait parfaitement les traditions de l’Académie et se plaisait à la vie qu’on y mène, profitant des occasions qui lui faisaient avec les pensionnaires des relations aisées. Il aimait à parler sur les arts, ce qui n’était pas une mauvaise disposition chez un directeur et ce qui, en tout cas, était assez nouveau pour nous.