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Il le faisait avec simplicité et abandon, avec une profonde admiration pour les maîtres et une modestie personnelle très sincère. Il se plaisait aussi à s’entretenir de la technique : avec les architectes, de la perspective dont il connaissait toutes les applications ; avec les sculpteurs, de forme et aussi de la polychromie, dont il devait plus tard faire des essais ; avec les peintres, de tout ce qui intéresse l’exécution, depuis la préparation des toiles et des couleurs, jusqu’aux procédés les plus délicats dans lesquels le travail de l’esprit et celui de la main se tiennent de plus près ; ayant sur ces derniers sujets toutes les préoccupations et toute l’expérience d’un praticien consommé.

Avec tant de qualités, il était d’un abord facile ; on pouvait l’approcher à toute heure. Il savait entrer dans les vues des jeunes artistes, les soutenir dans leurs entreprises en apportant aussitôt les raisons et les exemples les plus propres à les aider dans leur travail personnel. Quand il invoquait sa propre expérience, ce n’était pas pour se donner comme un modèle, mais au contraire pour rappeler quelque tentative qui lui avait peu réussi. Sa complaisance était inépuisable ; et cette bonté, jointe à beaucoup de sûreté et de finesse, faisait de lui le meilleur et le plus utile des conseillers.

Si je me souviens bien, les études des pensionnaires étaient alors engagées dans une voie très simple. Elles n’étaient ni compliquées par l’imitation de l’antique, ni troublées par la préoccupation décevante de se faire à tout prix une personnalité. Le sentiment qui dominait tous les autres était l’amour de la nature, relevé par le choix d’un sujet. On s’efforçait de trouver un modèle qui répondit à une donnée que l’on caressait dans son esprit ; ou bien, on concevait une idée à propos d’un modèle que l’on avait rencontré. Il est resté de ce temps et de cet esprit quelques traces dans des ouvrages que peut-être l’on regarde encore.

Le temps était favorable à cet amour du naturel idéalisé. On vivait à Rome d’une vie à la fois réelle et mystique : on était en présence des plus nobles aspirations qui pussent exister sur la terre. Les premières années du pontificat de Pie IX donnaient aux esprits un généreux essor. Les actes du pape éclairaient le temps présent d’une lumière divine et ouvraient à l’avenir les plus brillans horizons. L’indépendance de l’Italie, que le pape rêvait alors, apparaissait comme un événement assuré : les institutions libérales, dont il voulait doter ses états, étaient un exemple pour le monde. Dans une pensée de clémence et de réparation, il avait donné une amnistie, qui fut accueillie par un élan d’amour, fêtée avec un enthousiasme dont les manifestations égalaient en beauté les triomphes chantés par les poètes. La gratitude et l’admiration