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Nous donnâmes nos chambres. On fit autant de lits qu’il était possible. Plus de cent personnes mangeaient et dormaient à l’Académie. C’était affaire à nous de veiller à ce que rien ne leur manquât, de satisfaire chacun et aussi, par momens, de calmer les exigences, car plusieurs ne pouvaient renoncer à leurs habitudes et encore moins changer d’humeur.

La situation prit bientôt son caractère d’extrême gravité. Le 30 avril, à onze heures du matin, une vive canonnade, accompagnée de feux de mousqueterie, partit des bastions avancés du Vatican. Nos troupes arrivaient sous les murs de Rome et étaient reçues en ennemies. De loin, à travers les arbres, on voyait briller les armes. La lutte s’étendit à droite dans la vallée qui descend vers le Tibre, et à gauche par la villa Pamfili jusqu’à la porte Saint-Pancrace, où bientôt le silence se fit. Le combat se prolongeait autour du saillant du Vatican. Des parties hautes de la villa Médicis on aperçut, vers deux heures, une compagnie de chasseurs à pied descendre au pas de course vers la porte Angelica, que l’on assurait, paraît-il, devoir être ouverte à nos soldats. Ils furent accueillis par des volées de mitraille parties du fort Saint-Ange, qui s’était tu jusque-là. À ce moment le drapeau rouge fut hissé au sommet du fort, et le gouvernement des triumvirs sembla prendre la responsabilité de la défense.

On sait que l’attaque échoua. Cependant autour de nous s’organisaient des légendes de victoire sans que nous sussions comment. Mais à plusieurs reprises nous étions tenus au courant des péripéties du combat par des officiers envoyés pour surveiller notre attitude. Ils se plaignaient de cette guerre, qu’ils appelaient fratricide et taxaient amèrement notre politique. La journée du 30 avril fut pleine d’angoisse pour les Français réfugiés à la villa Médicis. Aucune situation ne pouvait être plus douloureuse. Réunis par le hasard des circonstances et renfermés dans une ville profondément aimée, mais qu’une armée française assiégeait, ils assistaient à une lutte devenue malheureusement inévitable. Mais on était aux mains, et il ne s’agissait pas d’être neutres. Certes tous ceux qui étaient venus demander asile à l’Académie étaient animés d’un esprit de solidarité absolu et d’un patriotisme ardent. Aucun d’eux, j’en suis sûr, aucun dans le nombre qui n’eût donné sa vie pour assurer le succès de nos armes.

Cependant l’accord était loin de régner parmi eux. Il y avait là des personnes de toutes sortes, et aussi d’opinions très diverses. Il y en avait d’inquiètes et de mornes ; il y en avait d’imprudentes et il y en avait d’humeur provocatrice. Plusieurs ecclésiastiques avaient conservé leur habit. Des frères de la doctrine chrétienne