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produisirent alors, nous les détestions pour eux-mêmes et aussi parce que nous sentions qu’ils compromettaient la cause de l’indépendance italienne. Ignorant la logique des partis, nous avions pensé que tout pouvait se concilier. Nous rêvions de congrès et d’arbitrage. Peut-être étions-nous un peu giobertistes sans nous en douter. En réalité, nous étions des politiques médiocres. Mais aujourd’hui encore nous n’avons rien à désavouer de nos sentimens d’alors. Nous aimions l’Italie et nous aimions la France ; nous n’admettions pas qu’elles pussent être ennemies ; et je pense que, pour la plupart, nous en sommes restés là.

Qui le croirait ? Isolés comme nous l’étions, mais soutenus par l’homme de cœur qui nous dirigeait, nous travaillions sans défaillance. Nos envois réglementaires furent tous terminés et exposés à la villa Médicis le 22 avril. Cependant, autour de nous, les circonstances devenaient de plus en plus difficiles, sans que nous en fussions autrement troublés. Peu à peu nous nous mettions au niveau des conjonctures. L’assemblée nationale française avait décidé l’intervention ; le corps expéditionnaire allait bientôt débarquer à Civita-Vecchia. L’émotion était très vive à Rome. Je me souviens qu’un matin on vint nous dire que nous allions être attaqués. Fallait-il donc prendre les armes ! Tout compte fait, nous avions deux fusils de chasse et un pistolet sans munitions. Avec cela nous attendions assez gaiment. C’est une grande chose d’être dans le devoir et d’être unis ; et nous étions unis par une amitié qui depuis ne s’est jamais démentie.

En réalité, l’Académie était abandonnée à elle-même, et tout devait dépendre de son directeur. Notre ambassadeur, le duc d’Harcourt, avait suivi le pape à Gaëte. Le premier secrétaire était resté dans la ville et semblait en observation près du gouvernement des triumvirs, sans avoir près d’eux un caractère défini. Quant aux Français résidans ou de passage à Rome, personne qui pût leur donner une règle de conduite et les protéger. M. Alaux ne recevait point d’instructions, mais tous les yeux se tournaient vers lui. La villa Médicis était une parcelle de terre française où chacun venait chercher un asile. Nous avions gardé notre drapeau, et dans ce moment critique, par la force des choses, notre directeur représentait la France.

Cependant, Rome se remplissait de défenseurs venus de tous pays. Garibaldi était arrivé : nous avions pu le voir avec sa troupe sur la place de la Pilote. On attendait bientôt les volontaires Romagnols et Lombards. D’un autre côté, le corps expéditionnaire marchait sur Rome. Nos nationaux affluaient à la villa Médicis. Le directeur prit toutes les mesures que lui dictait une sage prévoyance.