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V

M. Alaux avait beaucoup travaillé pendant son directorat. Il rapporta de Rome plusieurs tableaux qui lui avaient été commandés avant son départ de Paris. Les deux principaux étaient destinés au Conseil d’État : ils représentaient l’un Charlemagne dictant ses capitulaires ; l’autre, saint Louis donnant ses institutions judiciaires. Le caractère historique y était marqué, plus que l’auteur n’avait coutume de le faire ; il me semble même que certaines têtes n’étaient pas exemptes d’exagération. En tout cas, elles rendaient bien d’une part la rudesse des temps carolingiens et de l’autre la naïveté robuste que nous attribuons au XIIIe siècle. La couleur n’était plus celle que, vingt ans auparavant, le peintre employait dans ses premières œuvres décoratives. Son coloris avait plus de force et de gravité ; il avait plutôt le genre de fermeté qui convient à la peinture murale. Ces ouvrages, placés dans les salles de la section de législation, ont été brûlés pendant la commune, avec l’édifice du quai d’Orsay.

Une autre toile, celle-là exposée à Paris en 1858, existe heureusement encore : je veux parler de la Lecture du testament de Louis XIV, qui est au musée de Versailles. C’est un des meilleurs ouvrages de M. Alaux. On peut le comparer aux États généraux ; il est conçu dans le même ordre d’idées, et il leur est, je crois, supérieur. La composition n’en est nullement inspirée de Saint-Simon. N’y cherchez pas les épisodes et les détails auxquels les Mémoires attachent tant d’importance, et qui consistent souvent en ce que tel prince, à tel moment, ôte ou garde son chapeau. Non. La scène est ramenée à ses conditions essentielles. On voit la grand’chambre ; et dans l’angle, la place où le roi tient son lit de justice, le coin du roi, est vide. Les princes, les pairs et les conseillers sont assis. Le conseiller Dreux, debout, lit le testament, et l’assemblée, légèrement agitée, écoute dans un silence que l’on juge devoir être bientôt rompu. Je n’ai pas besoin de dire que l’effet est rendu avec une grande finesse : c’est la qualité de M. Alaux. Le jour d’intérieur, habilement ménagé, passe sur les têtes des personnages adossés aux fenêtres, pour éclairer les figures qui occupent la droite du tableau : le clair-obscur est parfait. Quant au caractère des personnages, il est très juste. Ce sont bien les types du temps tels que les peintures et les gravures nous les ont conservés ; ce sont bien les habits de deuil, ce sont bien les robes et les perruques parlementaires encore très hautes que l’on portait à ce moment. On assiste à cette grave séance.