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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/374

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mon jeune cousin de la peine qu’il prend de me chercher un asile ; si c’est lui qui le trouve, comme ce sera sûrement vous qui l’embellirez, je vous en devrai à tous deux la découverte et le charme… » Le chevalier avait prié ses parens de lui découvrir une petite propriété où il comptait finir ses jours : il voulait que cet asile fût leur maison de campagne jusqu’à ce qu’il l’habitât tout à fait ; elle ne le serait pas moins alors, seulement il en deviendrait le concierge et le jardinier. Et l’aimable homme offrait d’assurer une somme de 30,000 francs à cette chère Bébelle pour faciliter au besoin son mariage.

Une autre fois[1], il feint d’exciter la jalousie de la cousine à propos de certaine coquette de haut parage, Mme de Neuvri, mais il laisse entendre à merveille que c’est lui-même, non le président, qui s’occupe d’elle, et sa malice est volontairement cousue de fil blanc : « Aïe ! aïe ! aïe ! ma pauvre cousine, j’ai bien peur que tout ceci ne tourne mal pour vous ; il est bien vrai que le président a reçu avec transport le ruban dont vous avez voulu qu’il se ceignît la tête, et il m’a même paru le préférer aux lauriers et aux myrtes dont le plaisir et la victoire couronnent les héros et les amans heureux ; je dois même vous dire qu’il a écouté avidement ce que je lui ai dit de vous ou de votre part. Mais je ne peux vous dissimuler que l’objet présent fait un furieux ravage dans son âme magistrale ; j’ai tout vu, tout entendu, tout remarqué. Un mousquetaire n’est pas plus ardent, un jeune homme de la cour pas plus sémillant, un cordelier, ma cousine, un cordelier pas plus entreprenant qu’il le fut hier près de Mme de Neuvri. En sortant du bal, où nous étions tous, j’ai soupe chez lui avec votre aimable rivale. Dieux ! qu’elle était belle, et que l’élégance de son ajustement ajoutait encore aux charmes de sa figure ! Une robe de satin couleur de rose, garnie d’hermine, se mariait naturellement avec la couleur de son teint ; je n’entreprendrai pas de vous donner une idée de ses yeux, je crus voir le ciel dans toute sa beauté ; elle dansa avec les grâces des Grâces mêmes et la légèreté des nymphes. A table, elle nous donna autant d’esprit que de tendresse : Psyché, lorsqu’elle agaçait l’Amour, était moins séduisante, et Vénus dans les bras d’Adonis ne fut jamais plus touchante et plus tendre… Par attention pour vous, ma chère cousine, je verrai encore aujourd’hui Mme de Neuvri, je la verrai demain, tous les jours, afin de vous rendre compte de ce qui se passera, et puis, c’est qu’elle est bonne à voir, bonne à entendre, bonne à tout[2]… »

(1)

  1. Lettre du 15 janvier 1765.
  2. C’est à Mme de Neuvri ou à Mme de Chaulnes qu’une bonne femme dit, à l’entrée d’une église, au moment du sermon : « Vous n’entrerez pas, vous êtes trop jolie ; vous donneriez des distractions a ces messieurs ! »