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dant que la doctrine des opinions probables, antérieure à la société de Jésus, a été acceptée avant et après les Provinciales par la grande majorité des casuistes, par saint Liguori particulièrement, mort en 1785, béatifié en 1816. La preuve a été faite vingt fois ; beaucoup ont élevé la voix, personne ne s’est fait entendre. La question est déclarée sans intérêt, on la dédaigne, et, quand l’occasion s’en présente, ce qui n’est pas rare, on la tranche contrairement à la vérité. Le jésuite Daniel, par un ingénieux artifice, a espéré attirer l’attention. Inutile travail ! L’entreprise était impossible. Il faudrait rencontrer, s’est dit le père Daniel, l’esprit mordant de Pascal, la perfection de son style, l’éclat de son génie, son art d’encadrer les citations dans un récit naturel et comique. Pourquoi pas ? s’est-il dit ; et, pour prouver que les autres ordres religieux, les dominicains, par exemple, sont tout aussi responsables que les jésuites des principes les plus honnis de la morale relâchée, il a eu et réalisé l’idée très ingénieuse de reproduire une des Lettres de Pascal, sans y rien changer, absolument rien, que les citations, remplaçant les passages extraits d’un auteur jésuite, par des passages équivalens, scrupuleusement copiés chez un jacobin. La citation est longue, mais le lecteur ne s’en plaindra pas, elle sort d’une bonne main, c’est du Pascal ; Daniel ne l’a pas affaiblie ; il n’y a mis du sien que des noms et des textes, assez nombreux pour dissiper les doutes.

« Je fus ravi de voir tomber le bon père jacobin dans ce que je souhaitais. Je le priai de m’expliquer ce que c’était qu’une opinion probable. — Nos auteurs vous y répondront beaucoup mieux que moi, dit-il ; c’est, selon eux, une opinion qui est au moins appuyée sur l’autorité de quelque grand docteur. Voici comme en parle notre maître Jean Nider dans son Livre consolatoire de l’âme timorée : Tout homme peut avec sûreté suivre quelque opinion qu’il voudra, pourvu qu’elle soit de quelque grand docteur.

« — Ainsi, lui dis-je, un seul docteur peut tourner les consciences et les bouleverser à son gré et toujours en sûreté. — Il n’en faut pas rire, me dit-il, ni penser combattre cette doctrine. Quand les jansénistes l’ont voulu faire, ils y ont perdu leur temps. Elle est trop bien établie. Écoutez notre Sylvestre Prieras, qui approuve cette belle sentence du Panormitain : Celui qui suit l’opinion de quelque docteur sans l’avoir examinée fort exactement et à qui depuis elle paraît fausse, est excusé de péché, tandis qu’elle n’a point paru fausse. Il suffit pour cela, ajoute Sylvestre, que par l’affection qu’il a pour son docteur, il juge probablement être vrai ce qui, en effet, est faux. — Mon père, lui dis-je, franchement je ne puis faire cas de cette règle. Qui m’a