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assuré que, dans la liberté que vos docteurs se donnent d’examiner les choses par la raison, ce qui paraîtra sûr à l’un le paraisse à tous les autres ? La diversité des jugemens est si grande… — Vous ne l’entendez pas, dit le père en m’interrompant ; aussi sont-ils souvent de différens avis : mais cela n’y fait rien, chacun rend le sien probable et sûr. Vraiment l’on sçait bien qu’ils ne sont pas tous du même sentiment, et cela n’en est que mieux. Ils ne s’accordent au contraire presque jamais : il y a peu de questions où vous ne trouviez que l’un dit oui, l’autre dit non ; et, en tous ces cas-là, l’une et l’autre des opinions contraires est probable : c’est pourquoi Diana, et cet auteur en vaut seul beaucoup d’autres, dit sur un certain sujet : Ponce et Sanchez sont de contraire avis ; mais parce qu’ils étaient tous deux sçavans, chacun rend son opinion probable.

« — Mais, mon pore, lui dis-je, on doit être bien embarrassé à choisir alors. — Point du tout, dit-il, il n’y a qu’à suivre l’avis qui agrée le plus. — Eh quoi, si l’autre est plus probable ! — Il n’importe, me dit encore le père ; le voici bien expliqué par notre père Jean-Baptiste Haquet : Je dis qu’il est permis de suivre dans la pratique une opinion moins probable et moins sûre, soit que ce soit sa propre opinion, soit que ce soit celle d’un autre, pourvu qu’elle soit simplement probable.

« Et si une opinion est tout ensemble et moins probable et moins sûre, sera-t-il permis de la suivre en quittant ce que l’on croit être plus probable et plus sûr ? — Oui, encore une fois. Est-ce que vous n’entendez pas le latin ? Minus probabilem et minus tutam. Les termes sont exprès, et ce sçavant théologien ajoute que c’est le sentiment de nos grands docteurs Médina et Bannes : eam sententiam docent Medina, Bannes, etc. Cela n’est-il pas clair ?

« Nous voici bien au large, lui dis-je, mon révérend père. Grâce à vos opinions probables, nous avons une belle liberté de conscience ; et vous autres, casuistes, avez-vous la même liberté dans vos réponses ? — Oui, me dit-il, nous répondons aussi ce qu’il nous plaît, ou plutôt ce qui plaît à ceux qui nous interrogent ; car voici nos règles que notre maître Thomas Mercado explique admirablement. Ce qu’il dit sur cela dans son sçavant Traité des Contrats est remarquable.

« De plus, dit-il, je puis donner en ami un bon conseil à un confesseur qui entendrait la confession d’un marchand, et ce sera le moyen de se procurer une grande liberté et une grande autorité. Le voici : C’est que si le confesseur suit et soutient une opinion, cela ne doit pas l’obliger à s’en servir pour la direction de son pénitent, supposé que celui-ci ne veuille pas la prendre pour règle ni