Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’aspiration des Allemands vers l’unité nationale, sont de ces mouvemens d’idées rares qui ont, à des degrés divers, pénétré la démocratie et les classes populaires, qui ont atteint jusqu’au fond de leur indifférence ou de leur défaut de lumières, qui les ont arrachées aux préoccupations de la vie matérielle et journalière. Ils ont aussi créé des armées nationales et transformé en quelques années des nations humiliées, anéanties ou effacées, pour les élever à un rôle politique de premier ordre et à une situation dominante.

C’est dans la formation des armées révolutionnaires en France que la puissance de l’idée éclate de la façon la plus incomparable. Dans l’insignifiance même des premiers événemens militaires qui firent reculer la coalition ; — dans la résistance victorieuse de ces élémens de l’armée française de 1792, la veille encore indisciplinés, désorganisés, sans direction, presque réduits à l’état d’anarchie, et devant lesquels s’arrête l’armée de Brunswick ; — dans les hésitations, les lenteurs, les incertitudes des coalisés, où se traduisent la méfiance et l’énervement des volontés, le rôle des forces morales apparaît avec une évidence indiscutable.

Cette vérité a éclaté aux yeux mêmes des contemporains, surtout aux yeux des vaincus, que la défaite rendait clairvoyans. Les gouvernemens et les peuples qui commencèrent à souffrir, au début du XIXe siècle, de l’oppression militaire en laquelle avait dégénéré la révolution française ne s’y trompèrent point. Les hommes d’État prussiens, en particulier, reconnurent la vérité à l’heure même de la défaite, avant que les forces morales n’eussent eu le temps de se retourner à leur profit. C’est là l’origine de la réforme militaire.

Il était impossible qu’elle ne tînt pas une place prépondérante dans les préoccupations des patriotes qui avaient saisi, après 1806, la direction des destinées de la Prusse. C’était par un désastre militaire que s’était consommée la ruine de l’État. C’était dans la déroute de cette armée, à la formation, à l’entretien, au service de laquelle était vouée toute l’ancienne organisation politique, que s’était résumé l’effondrement de l’ancien régime. C’était contre la caste privilégiée, officiers et noblesse, que se déchaînaient les rancunes et les mépris.

Napoléon, peu idéologue de sa nature, résumait en un vice d’organisation matérielle les causes de la défaite de la Prusse. Le reproche le plus sensible qu’il jeta à Frédéric-Guillaume III, sur le radeau de Tilsit, ce fut d’avoir conservé dans son armée cette disposition qui faisait des capitaines autant d’entrepreneurs chargés, à forfait, d’entretenir leur compagnie.

Les patriotes prussiens cherchèrent ailleurs, pour y remédier,