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les causes de la ruine. Ils les trouvèrent dans la constitution sociale de l’armée prussienne.


I

L’armée, dans l’ancienne monarchie des Hohenzollern, à la fin du règne de Frédéric-Guillaume II, ne comptait pas moins de 230,000 hommes. L’effectif présent sous les drapeaux en temps de paix était réduit, par les congés, d’un peu plus du tiers. C’était encore, par rapport à la population, une proportion de 1,76 pour 100, très supérieure à la proportion actuelle dans l’empire allemand.

Les sources de recrutement de cette armée étaient doubles : la première était le recrutement indigène, tel que l’avait établi Frédéric-Guillaume Ier lorsqu’il avait proclamé pour la première fois le devoir de tout citoyen de contribuer à la défense du pays et institué le service obligatoire. A l’origine, au temps de Frédéric-Guillaume Ier, l’obligation du service militaire avait été à peu près générale et la durée illimitée, et ce n’est pas là l’un des traits les moins curieux de cet état essentiellement militaire qui s’était constitué en Prusse dans les commencemens du XVIIIe siècle. Mais plus tard, avec le développement de l’industrie, le progrès des mœurs, le système s’était modifié très sensiblement, tout au moins dans son application. Les exemptions s’étaient étrangement multipliées et, sous le nom de service obligatoire, elles étaient devenues la règle.

C’était, en première ligne, les exemptions attachées à certains lieux, — Berlin d’abord, depuis le temps de Frédéric-Guillaume Ier, puis d’autres villes dont on voulait favoriser le développement : brandebourg, Potsdam, tout le duché de Clèves, le territoire de Mors, toute la Frise orientale, en vertu d’un privilège constitutionnel ; — la plupart des villes et un grand nombre de communautés rurales du comté de La Mark, certains cercles industriels tout entiers de la Silésie.

C’étaient aussi les exemptions accordées aux personnes : à la caste privilégiée, à la noblesse, aux fonctionnaires d’un certain ordre, dits eximirten, dont l’exemption comportait des privilèges sociaux et une sorte d’assimilation avec la noblesse. C’étaient les exemptions accordées à l’industrie : aux travailleurs de laine immigrés, aux bourgeois, manouvriers et artistes établis, aux ouvriers mineurs ; enfin, dans la population rurale, aux paysans connus sous le nom de Bauern et de Kossäthen, — c’est-à-dire à tous les tenanciers exploitant de sept à quinze hectares, — et, parmi les classes rurales inférieures : journaliers, petits travailleurs, à tous ceux des