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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/467

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la pente en grimpant. Aussitôt, une partie de nos hommes se précipitèrent à leur rencontre pour les culbuter. En même temps, Karaditch s’abattit par terre comme une masse.

— Je suis blessé, dit-il froidement, tandis que Melitza, qui s’était jetée sur lui, pleurait à chaudes larmes.

— O mon fier faucon ! s’écria-t-elle, la balle du musulman maudit t’a frappé, mais ne meurs pas, ou je mourrai avec toi !

— Ne pleure pas, répondit le prince, je ne peux pas te voir pleurer, ma douce colombe !

La balle qui l’avait atteint avait pénétré dans la jambe. Un chirurgien, qu’on appela aussitôt, la retira et fit le premier pansement. Mais on ne put décider Karaditch à cesser de prendre part au combat. Avec l’aide de sa femme, il se traîna, choisit une position plus favorable, et se mit à tirer sur les Turcs avec plus d’ardeur que jamais. Ceux-ci avançaient rapidement. Leurs cris étaient de plus en plus stridens, à mesure qu’ils approchaient. Il ne restait plus qu’un petit nombre de défenseurs autour de nous. A peu près seuls sur ce point, Karaditch et Melitza continuaient à faire face à l’ennemi. Les cris de triomphe des musulmans ne pouvaient donc guère effrayer que la belle femme qui semblait destinée à devenir leur butin de guerre.

Pourtant, Melitza ne semblait pas faite pour l’ornement d’un harem. Ce n’était pas une femme à pouvoir rêver étendue sur des coussins soyeux, enveloppée de fourrures moelleuses.

Alors, elle se coucha par terre à plat ventre, rampa jusqu’à la crête du ravin, derrière lequel nous nous trouvions, avança prudemment la tête pendant que nous continuions de tirer, promena son regard de tous côtés, observant avec sang-froid le nombre et la position des ennemis qui se disposaient à escalader l’obstacle qui nous séparait d’eux et se retira. Après avoir cherché un instant autour d’elle, elle saisit un bloc de rocher, le roula jusqu’au bord du ravin, et le lança sur la pente sans se soucier des balles qui sifflaient autour d’elle et de nous.

Ainsi, lestement, les dents serrées, le regard sombre, Melitza roula une seconde pierre, puis une troisième, une quatrième ; elle allait, elle allait ; on eût dit que ces lourdes masses ne pesaient rien dans sa main. Et, à chaque pierre qui dévalait, bondissant d’aspérités en aspérités, tombant comme la foudre sur les Turcs qu’elle rencontrait, les écrasant et les entraînant avec elle dans les abîmes, c’était comme le fracas furieux du tonnerre.

La petite Jana, voulant imiter sa mère, la suivait en portant aussi de petites pierres, les plus grosses qu’elle pût soulever.

Deux autres femmes étaient accourues, armées de leurs fusils ;