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puter un pouvoir livré au jeu de toutes les ambitions, que les batailleurs de la plume se perdent en querelles rétrospectives, c’est peut-être bon pour amuser un temps inoccupé ; ce n’est pas ce qu’il y a de plus sérieux ni de plus utile. Il y a des affaires plus essentielles ; il y a des questions toujours faites pour attirer les esprits réfléchis parce qu’elles touchent aux premiers ressorts de l’existence nationale.

Avant de se disputer comme une proie le gouvernement du pays, il faudrait d’abord savoir ce que devient le pays, ce qu’il est réellement, ce qu’il gagne ou ce qu’il perd de puissance et de force dans les luttes de la vie. C’est justement l’intérêt de cette question des progrès ou de la décroissance de la population française, pour laquelle les partis ont peu l’habitude de se passionner parce qu’elle ne prête guère aux polémiques bruyantes, qui fait cependant de temps à autre une apparition saisissante dans les académies, dans les débats entre économistes, dans les statistiques révélatrices, même dans de gros livres. On y revient périodiquement, pour se retrouver sans cesse devant un fait invariable, avéré et constaté : le ralentissement régulier, continu, obstiné du mouvement de la population en France. On en a savamment parlé, il y a quelques semaines, à l’Académie de médecine comme d’un des plus graves phénomènes contemporains. On a discuté partout depuis sur le caractère de cette crise de la fécondité française. On a cherché, on cherche encore les causes du mal sans oublier de chercher les remèdes. On a épuisé les raisonnemens comme les statistiques, et voici qu’à son tour un anthropologiste de mérite, M. Arsène Dumont, publie tout un traité volumineux et touffu sous ce titre : Dépopulation et civilisation. Ce n’est malheureusement pas le plus gros livre qui est le plus clair. L’auteur est sans doute un homme initié à tous les mystères de la science. Il n’a qu’un défaut : il fait trop de philosophie, trop d’esthétique, trop d’abstraction à propos du chiffre des naissances, si bien que, soit dit sans offenser la science, il finit par ressembler au médecin de Molière. Il a toute sorte de théories sur le développement historique, sur la « capillarité sociale, » sur la démocratie, sur l’influence du cléricalisme ou de la royauté, sur « l’hypothèse-Dieu : » et, « voilà justement pourquoi votre fille est muette, » — c’est-à-dire pourquoi il naît moins d’enfans en France ! On n’est pas plus avancé. L’œuvre savante n’explique rien. Le problème reste tout entier dans ses termes à la fois simples et inexorables.

La vérité toute simple, telle qu’elle est écrite dans les chiffres de toutes les statistiques, telle qu’elle est périodiquement constatée, c’est que la population, loin d’augmenter, ne fait que diminuer en France et que le ralentissement ne date pas d’aujourd’hui. C’est là le fait palpable, caractéristique, il y a moins de mariages, moins d’enfans qu’autrefois dans notre pays. Depuis les premiers jours du siècle, la natalité n’a cessé de suivre un mouvement continu, ininterrompu de