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le commentaire et la justification historique[1]. Ce livre devait naturellement, forcément, avoir pour titre la généalogie même de Jésus, établissant sa descendance davidique, car le plus populaire des titres messianiques, aux yeux de tout Juif, était le titre de Fils de David.

Le grand discours sur la montagne convient au législateur des temps nouveaux ; les nombreuses paraboles du Royaume révèlent celui qui venait évangéliser les pauvres ; les anathèmes contre les Pharisiens et les prophéties sur l’avenir de Jérusalem et du monde annoncent le juge qui a le van dans la main et qui est le maître des hommes et des siècles.

Ce caractère tranché du livre explique, indépendamment de son origine apostolique et de sa priorité sur les autres Évangiles, l’autorité dont il jouit et l’action extraordinaire qu’il exerça dans l’évangélisation des Juifs. Jésus est-il, oui ou non, le Messie des prophètes ? C’était le grand débat entre les croyans et les Juifs. L’évangile de saint Matthieu y répondait avec une évidence triomphante.

Tous les titres messianiques signalés par les prophètes se vérifient en Jésus. L’Évangéliste le prouve par la vie même du Maître. Son livre est tout à la fois un tableau vivant de Jésus et une démonstration, une apologie populaire de sa messianité.

L’idiome général dans lequel il fut composé n’était guère compris en dehors de la Palestine ; et cependant la messianité de Jésus intéressait non-seulement les Juifs de Jérusalem, de Judée, de l’Idumée et de la Galilée, mais tous ceux de « la dispersion. » Ces derniers parlant le grec, il fallut leur interpréter l’Évangile syro-chaldaïque. Un grand nombre, d’après les fragmens de Papias[2], s’y appliquèrent. Une traduction grecque, dont l’auteur est inconnu[3], suivit de très près l’original araméen. Elle s’imposa soit par l’autorité du traducteur, soit par le consentement de l’Église ; elle éclipsa bientôt le texte primitif. Celui-ci disparut, après la destruction de Jérusalem, avec le groupe des chrétiens judéens qui en faisaient usage ; s’il en resta entre les mains des Ébionites et des Nazaréens une version, elle s’altéra, comme toutes celles que les sectes modifiaient, interpolaient, mutilaient, altéraient au gré de leurs doctrines.

Quelques années après, lorsque les apôtres, ayant accompli leur tâche en Judée et rendu témoignage à leur Maître dans la métropole, se dispersèrent pour porter au loin la bonne nouvelle, un des

  1. Cf. Matth., I, 23 ; II, 6, 15, J8, 23 ; III, 3 ; IV, 15 ; VIII, 17 ; XI, 5, 10 ; XII, 18 ; XIII, 35 ; XXI, 5, 16, 42 ; XXII, 44 ; XXVI, 31 ; XXVII, 9, 35, 43, 46.
  2. Eusèbe, Hist. ecclés., III, 39.
  3. Jérôme, De vir. illustr., III.