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L’Église naissante appelait un écrit qui lui donnât un tableau plus complet de l’histoire du Christ. Un païen d’Antioche, peut-être un Juif, un converti de l’apôtre Paul, à coup sûr, un homme qui n’était pas sans culture et qui passe pour avoir enseigné la médecine à Antioche même, entreprit.de répondre à ce besoin des premiers fidèles. De là le nouvel Évangile qui vint s’ajouter à celui de l’apôtre Matthieu et de Marc, le disciple de Pierre. Saint Paul a loué cette œuvre dans une de ses lettres[1]. Elle se répandit dans toutes les Églises, et elle fit connaître un grand nombre de faits et d’enseignemens qui n’avaient pas été consignés dans les écrits antérieurs.

Saint Luc comble leurs lacunes. Le tiers de ses récits lui appartient en propre, et notamment cinq miracles et douze paraboles[2]. Toute sa préoccupation est de se renseigner auprès des témoins qui ont tout vu dès l’origine et qui ont été établis les ministres de la parole. Disciple de Paul, compagnon de ses voyages[3], collègue de Barnabé, l’un des soixante-douze, il est venu à Jérusalem[4]], il a interrogé les apôtres Pierre, Jacques le Mineur, qu’on appelait le frère du Seigneur, et Jean, le disciple aimé. Il a connu certainement la famille de Jésus et sa mère, et la parenté de Jean-Baptiste. Il a eu sous les yeux les divers écrits auxquels il fait allusion dans la préface de son œuvre, et sûrement les Évangiles de Matthieu et de Marc. Il est invraisemblable, en effet, que de tels documens, revêtus de l’autorité des apôtres et, à ce titre, vénérés par tous les fidèles, n’aient pas été dans ses mains. Il les a évidemment complétés par ses récits de la naissance de Jean et de l’enfance de Jésus, récits empruntés sans doute à une source plus ancienne, comme en témoigne leur style tout hébraïque.

Il les complète encore dans ces riches épisodes dont la vie errante de Jésus a été semée, pendant une période de quatre ou cinq mois, du jour où il quitte la Galilée, n’ayant plus où reposer sa tête, jusqu’à son entrée triomphale à Jérusalem.

Les deux premiers Évangiles sont muets sur cette phase importante. Il les enrichit encore dans son récit de la Résurrection et dans celui-de l’Ascension par lequel il ouvre son livre des Actes.

Mais l’originalité du travail de saint Luc est dans le lien chronologique qu’il essaie d’établir entre les faits et surtout dans l’esprit qui préside au choix des faits.

Le lien chronologique, bien que imparfaitement renoué, nous

  1. H. Cor., VIII, 18.
  2. Luc, I ; II ; VII, 11-18, 30-50 ; X, 1, 25-42 ; XII-XVI ; XVIII, 1-14 ; XIX, 1-28 ; XXIII, 6-12 ; XXIV, 12-53.
  3. H. Cor., VIII, 18.
  4. Act., XX.