Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/536

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surtout qu’il a dû puiser les détails nouveaux qu’il relève, la connaissance plus complète des noms, des lieux, en un mot tout ce qui caractérise son œuvre.

L’Évangile de saint Marc n’a pas, comme celui de saint Matthieu, une tendance apologétique. Il n’a point été conçu ni rédigé pour démontrer la messianité de Jésus. Il n’est que le récit populaire de sa vie publique en Galilée, du dénoûment tragique de cette vie, et de sa résurrection triomphante à Jérusalem.

Il est cependant la bonne nouvelle du Fils de Dieu, et il prouve implicitement la divinité de Jésus. Il contient aussi, dans sa forme historique, la prédication apostolique, telle que Pierre et tous ses collègues la pratiquaient, lorsqu’ils venaient annoncer aux populations païennes de l’Empire le nom du Sauveur, le seul qui, sous le ciel, eût été donné aux hommes[1]. Les faits tiennent plus de place que les discours. La puissance de Jésus, auquel tout obéit, est plus en relief que ses enseignemens. Cependant ses souffrances, sa condamnation par les Juifs, l’ignominie de sa passion et de sa croix n’y sont point voilées. Les apôtres ne rougissent pas de leur Maître ; ils savent que son sang versé au Calvaire est le moyen voulu pour régénérer l’homme et glorifier Dieu dans le Christ.

On se ferait une idée fausse et incomplète de l’activité ardente des chrétiens dans les premières années de l’Eglise, si on oubliait le zèle avec lequel ils cherchèrent à connaître la vie de celui à qui ils avaient donné leur foi et qu’ils adoraient comme le Messie, le Sauveur, le Fils de Dieu.

Enflammés par la prédication des apôtres, ils s’inspiraient des moindres paroles et des actes de Jésus. Beaucoup, parmi les disciples et les néophytes, s’efforçaient de fixer par écrit ce qu’ils avaient entendu de la bouche même des témoins. L’Evangile araméen de saint Matthieu semble avoir été plus particulièrement le centre de ce mouvement[2]. On l’interprétait, on le traduisait, on essayait d’y apporter de nouveaux détails et de lier les faits dans un ordre plus conforme à la réalité de l’histoire. Les fruits de cette activité littéraire ne sont pas parvenus jusqu’à nous; tous ces livres auxquels fait allusion un des Évangiles[3] ont disparu, comme tant d’œuvres imparfaites qui ne s’imposent pas à l’attention et qui, sans doute, n’ont pas la force de survivre au milieu dans lequel elles sont nées.

Lorsqu’un besoin réel, légitime, travaille un ensemble d’hommes, il trouve presque toujours un esprit plus vigoureux qui sait y répondre.

  1. Act., IV, 1-2.
  2. Cf. Frag. Papias; Eusèbe, Hist. ecclés., III, 30.
  3. Luc, I, 1.