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dans l’ordre même où ils sont classés aujourd’hui, qu’elle les tenait pour inspirés de Dieu, écrits par un seul et même Esprit.

Il est prouvé, par une comparaison savante et détaillée, que tous les Évangiles peuvent être reconstitués, fragmens par fragmens, mais intégralement, à l’aide des citations recueillies dans les ouvrages des Pères du Ier et du IIe siècle, depuis l’auteur de l’Épître de Barnabé jusqu’à Tertullien et Irénée.

Il est prouvé que non-seulement dès le milieu du IIe siècle, en 150, il existait déjà une version latine des Évangiles, la vieille Italique, mais qu’avant elle il y en avait déjà deux : l’une en Afrique, l’autre en Italie. Il est prouvé, grâce à la découverte de M. Cureton, qu’avant la vieille Italique il existait une version syriaque, la Peschito; qu’elle avait été traduite en grec, et que le traducteur de l’Italique avait sous les yeux cette traduction grecque portant en marge des variantes syriaques auxquelles il s’est surtout référé. Il est prouvé ainsi que les traductions sont contemporaines des originaux.

Il est prouvé enfin, par la découverte du Codex Sinaïticus de M. G. Tischendorf, qu’à l’époque même où, selon Tertullien, le manuscrit autographe des Évangiles était encore conservé dans les Églises apostoliques, il existait une copie contemporaine. Cette copie nous est offerte dans le Codex Sinaïticus, antérieur aux corrections des manuscrits exigées officiellement par Constantin.

Ainsi on est en droit de conclure que les Évangiles existaient dès le Ier siècle et qu’ils existaient tels que nous les possédons. A défaut des manuscrits originaux, autographes, nous avons du moins des traductions contemporaines. La critique est satisfaite. Entre elle et la tradition de l’Église, sur ce point essentiel, l’harmonie est totale.


IV.

Le premier caractère de ces documens, c’est d’être, avant tout, au sens le plus rigoureux et le plus précis, des témoignages. Ils ne discutent pas, ils n’exposent pas des idées, des théories; ils n’expliquent, pas ; ils racontent des faits, ils rapportent des paroles, ils les affirment. De là, leur impersonnalité. L’auteur disparaît devant les choses. S’il se révèle quelquefois, par exemple dans le prologue du troisième Évangile ou dans le quatrième, avec une réserve extrême, c’est pour déclarer qu’il n’est qu’un témoin, qui s’est renseigné sur tout et qui a vu ou entendu ce qu’il écrit.

On ne surprend pas l’expression des sentimens intimes dont ces écrivains débordaient en peignant la vie de leur Maître. Aucun enthousiasme, aucun cri d’admiration, aucune réflexion propre.