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conteurs ambulans, un vrai corps de rapsodes s’en allaient, annonçant la bonne nouvelle; leurs récits, appris par cœur, embellis et enrichis, voilà la source de nos Évangiles écrits.

Il y eut aussi la théorie des petits livrets[1], rédiges par des anonymes, sorte de fragmens historiques de la vie de Jésus, qui auraient servi notamment à composer l’ouvrage de saint Luc.

On prétendit que l’Évangile de Matthieu avait été remanié; on crut à un Matthieu primitif qui aurait disparu et aurait servi à la rédaction du premier Évangile actuel et du second, attribué à saint Marc.

Mais quelques-uns donnaient à saint Marc la priorité, et le considéraient comme la source de saint Matthieu et de saint Luc[2].

Ces hypothèses indéfinies qui se succèdent les unes aux autres accusent leur fragilité, car, en se succédant, elles se détruisent, et il n’en est pas une qui puisse tenir quelques années. On les oublie avec ceux qui les ont inventées.

Lorsque la critique qui s’appelle indépendante aura mis d’accord ses représentans les plus autorisés, il sera temps d’examiner ses conclusions. Jusqu’alors, le témoignage de l’Église sur les auteurs évangéliques et sur leurs ouvrages peut dédaigner ces voix discordantes qui dépassent à peine les murs d’une école ou le cercle d’un parti.

Un tort non moins grave de l’exégèse est de méconnaître le caractère testimonial des Évangiles.

Au lieu de ne voir en eux que le récit de faits attestés par des témoins renseignés et honnêtes, on a essayé de distinguer, dans leurs ouvrages, le fond de la forme ; les plus modérés ont accepté l’un et discuté l’autre, ne se doutant pas peut-être qu’en attaquant la forme, ils détruisaient le fond.

Ainsi les premiers chapitres du troisième Évangile ont été, d’après eux, une poésie charmante dont la beauté les frappait d’admiration ; mais tous ces détails si frais, si vivans, n’étaient qu’un voile poétique pour traduire la sainteté de Jean-Baptiste et embellir la conception et la naissance de Jésus. Ils ont pu nier de la sorte la conception virginale du Christ[3].

Tout l’Evangile johannique, d’après le même procédé, a été tenu pour une œuvre de théologie et non d’histoire, qui avait pour but d’expliquer dogmatiquement, dans des théories transcendantes, la doctrine de l’auteur sur la nature divine de Jésus[4].

  1. Schleiermacher, Kritisch. Versuch iib. die Schrift des Lukas.
  2. Reuss, Histoire évangélique. Introd.
  3. Ibid.
  4. Reuss, Théologie johannique. Introd.