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il a dit mille et mille fois, ein Plus machen : tout est là. « Quiconque dispose de la pécune, disait-il, tient le militaire et le civil, et, par surcroît, gagne le respect et l’admiration du monde. »

Tout l’esprit de son gouvernement, toute sa façon d’être à lui, sont dans une ordonnance qu’il faut placer parmi les grands documens de l’histoire, car elle a produit des faits, ou, si l’on veut, un fait, la puissance de la Prusse. Elle a été écrite à la fin de décembre 1723, après une retraite dans une maison de chasse[1]. Depuis longtemps, le roi était mécontent du système général de l’administration. L’état avait alors deux sortes principales de revenus : revenus domaniaux, qui se composaient des fermages des terres appartenant à la couronne, du produit des forêts, des mines, des salines, des postes, des douanes, des droits de transit et du timbre ; revenus de guerre, dont les principaux étaient la contribution, impôt direct levé sur le plat pays, et l’accise, impôt indirect perçu dans les villes. Les revenus de guerre étaient administrés dans les provinces par des collèges appelés commissariats de guerre, qui ressortissaient au commissariat général de guerre ; les seconds, par des chambres des domaines, qui ressortissaient au directoire général des finances. Ces deux administrations avaient cent occasions de se contrecarrer, et n’en laissaient pas échapper une seule. Elles plaidaient sans cesse l’une contre l’autre ; une foule d’affaires étaient suspendues, et le roi, dans le désordre de ces chicanes, ne pouvait parvenir à savoir au juste l’état vrai de sa finance, sur lequel il voulait régler l’état de son armée. Il résolut de réunir ces deux corps ennemis, et de leur apprendre, en termes clairs, leur métier.

Pendant plusieurs jours, dans sa retraite de Schönebeck, il médita ; puis, il prit la plume, et il écrivit un premier projet « d’instruction. » Il s’y appliqua fort, voulant si bien taire que personne ne pût lui conseiller d’ajouter quoi que ce fût. Il partit pour Potsdam, où il fit appeler un de ses secrétaires, qu’il chargea de recopier son manuscrit : « Venez demain, lui dit-il, avec du papier fort et du fil noir mêlé de fil d’argent. Nous en aurons pour deux jours de travail. » Mais les deux jours ne suffirent pas. Le roi dictait, se faisait relire, corrigeait, puis relisait et corrigeait encore. Enfin, le 19 janvier 1723, les membres du commissariat général de guerre et ceux du directoire général des finances furent appelés au château. Aucun d’eux ne savait ce dont il s’agissait. Un ministre, Ilgen, commença par leur lire un ordre royal, où leur étaient reprochés en termes durs les abus et les sottises qu’ils avaient commis : « Les deux collèges ne savent rien faire que se mettre en

  1. Cette ordonnance est publiée dans Förster, Friedrich Wilhelm der Erste, König von Preussen, t. II, p. 173 et suivantes.