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Prusse, qui n’est point pays d’empire. Il appartient à l’Allemagne, où il a des devoirs, et il est un souverain d’Europe, tout comme le roi de France et le roi d’Angleterre. Il y a donc en lui deux personnages, et qui entreront nécessairement en conflit l’un avec l’autre.

Un de ses refrains était qu’il fallait un empereur d’Allemagne (ein deutscher Kaiser solle und müsse bleiben), et qu’il était, lui, bon impérialiste (gut kaiserlich gesinnt). « Tous mes habits bleus sont au service de l’empereur! disait-il... Il faudrait que tous les princes allemands fussent des canailles pour ne point professer des bons sentimens à l’égard de l’empereur et de l’empire ; moi-même, je serais une canaille, si je ne le faisais pas. Il faut que nous ayons un empereur, demeurons donc fidèles à la maison d’Autriche, c’est le devoir de tout honnête Allemand. » Il exprimait sa fidélité par les termes les plus forts : « Pour Sa Majesté Impériale, pour sa maison et pour son intérêt, je sacrifierais avec plaisir mon sang, mon bien, mon pays. Avant que je me sépare de l’empereur, il faudra qu’il me repousse du pied. » Mais il faut entendre d’autres cloches, sonnées par lui. S’il veut conserver un empereur allemand, c’est à la condition que sa souveraineté à lui soit intacte. Il n’admet pas que l’empereur exerce sur lui la fonction du juge suprême, la seule qui eût gardé quelque efficacité. Les appels portés par ses sujets d’Allemagne devant la majesté impériale, bien qu’ils fussent parfaitement constitutionnels et légaux, le mettaient hors de lui. Il voulait couper ce dernier lien qui l’unissait à l’empire. Ses ministres s’exprimaient en toute franchise sur le sujet du pouvoir impérial. « Notre intérêt, disaient-ils, aussi bien que celui de la France, est qu’il n’y ait pas d’empereur après celui-ci ; mais si l’on est obligé d’en faire un, il faut que ce soit un prince faible, hors d’état de faire exécuter ses mandemens, et qui n’ait pas plus d’autorité qu’un doge de Venise[1]. »

Les deux personnages, le prince allemand et le roi de Prusse, s’accordent donc, à la condition que le premier ne contrarie jamais le second, qui est fort sensible. Même jeu pour la politique extérieure, mais plus compliqué encore, car Frédéric-Guillaume distingue en l’empereur Charles VI, comme en lui-même, deux personnages : le chef du saint-empire, et le chef de la maison de Habsbourg, à qui des traités européens ont donné des possessions hors d’Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie. Si le chef de l’empire est attaqué, Frédéric-Guillaume lui doit aide et secours : il les lui donnera. Il ne veut pas que les étrangers se mêlent des affaires d’Allemagne, ni surtout qu’ils touchent au sol allemand : « Aucun

  1. Archives du ministère des affaires étrangères, Prusse, 1726, 8 mars.