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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/613

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spéculation qui ne produisait pas incontinent une application pratique. Enfant, il avait trop entendu parler, à la cour de sa mère, la grande amie de Leibniz, de monades, d’infiniment grand et d’infiniment petit, et d’harmonie préétablie. Il ne comprenait rien à ces hautes doctrines et il appelait la philosophie une Windmacherei (une fabrique de vent). Le vent ne payant pas l’accise, le roi était déjà tout porté à interdire la fabrique, comme inutile. Il crut sans peine les conseillers qui lui représentèrent qu’elle était dangereuse. Un jour, il commit un acte de barbarie contre le plus célèbre philosophe de son temps. Wolff, disciple de Leibniz, enseignait à Halle la doctrine du maître. Ses rivaux de l’Université et ses adversaires, les cagots, organisèrent une cabale contre lui. On dit qu’ils représentèrent au roi que, d’après les théories de Wolff, un grenadier de Potsdam pourrait déserter sans scrupule, alléguant qu’il était, de toute éternité, prédisposé à la désertion en vertu de l’harmonie préétablie. Le roi, considérant « que les écrits et leçons du professeur Wolff sont contraires à la religion révélée dans la parole de Dieu, » ordonne audit professeur de quitter la ville et le royaume dans les quarante-huit heures, « sous peine de la strangulation. » Quatre ans après, il interdisait la lecture des écrits de Wolff, remplis de « principes athéistiques, » sous peine des travaux forcés à perpétuité. Il est vrai que, huit ans après, il reconnut son erreur et fit pour la réparer tout ce qui dépendait de lui. Il écrivit à Wolff, s’excusa, prodigua les offres brillantes et, du ton le plus doux, insista. Le professeur ne se laissa pas convaincre. Il attendit, pour rentrer en Prusse, l’avènement de Frédéric II, le roi philosophe.

Frédéric Ier avait fondé, sur le conseil de Leibniz, une « Société des sciences. » Il lui avait donné un programme superbe : glorifier la science allemande, purifier la langue allemande, étudier l’histoire de l’Allemagne et de l’Église, la physique, les mathématiques, l’astronomie, la mécanique, les moyens de propager la foi et de préserver le royaume de Prusse contre les inondations et les incendies. De ce programme, plusieurs articles devaient plaire à Frédéric-Guillaume, notamment le dernier. Il ne retira point à la Société la dotation royale. Il lui donna des marques de sa grâce lorsqu’elle lui demanda la permission d’ouvrir un théâtre anatomique. Il enrichit sa bibliothèque et ses collections ; mais, comme elle le remerciait : « Travaillez, lui dit-il, avec plus de zèle que vous n’avez fait jusqu’ici... Votre société doit s’appliquer à des inventions capables de faire avancer les arts et les sciences, mais de façon qu’elles soient d’une vraie utilité ; point de fabrique de vent, point de ces mensongères rêveries où s’égarent tant d’érudits. »

D’une étrange façon il exprima son mépris pour la science. Il