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avait à son service personnel un savant du nom de Gundling, un vrai savant, un polygraphe, dont il employait les connaissances très étendues en matière de droit et de politique. Il avait fait de lui son commensal et l’habitué indispensable de la tabagie. Entre autres faveurs dont il le gratifia, il lui avait donné la libre disposition de la cave, sachant bien que le docteur en userait et en abuserait. Il le soûlait tous les jours, il s’amusait et voulait que l’on s’amusât du pauvre sire par des farces déshonorantes et sales. Il l’avait nommé fou de cour pour l’affubler ensuite de toutes les dignités qu’il jugeait ridicules. Il le fit grand-maître des cérémonies, grand chambellan, baron avec des armoiries grotesques et président de la société des sciences, président après Leibniz ! Il traita de la même manière le docteur Fassmann, le docteur Bartholdi, professeur de droit à l’Université de Francfort-sur-l’Oder, qu’il appelait M. des Pandectes, et l’astronome Graben Zum Stein, qu’il appelait M. Astralicus. Graben fut aussi nommé président de l’académie des sciences. Le roi se donna la peine de rédiger le diplôme de nomination. Il y vante les connaissances de Graben en antiquités, monnaies anciennes et nouvelles, en physique, mécanique, botanique, hydraulique, pneumatique, statique, en la cabale, en l’art de connaître et examiner les mauvais esprits avec l’usage et l’abus qu’on en peut faire, en la doctrine merveilleuse des préadamites, en histoire, physique, logique, dans l’art combinatoire de l’algèbre, etc. Graben avait, entre autres fonctions, l’administration du calendrier. Il devait être circonspect dans ses prédictions, annoncer le moins possible de mauvais jours, le plus possible de bons jours. Il était chargé de la surveillance des esprits. A la vérité, l’incrédulité des hommes avait fait passer de mode les cobolds, fantômes, etc., mais il y avait encore des nains et des loups-garous. On en trouvait dans les lacs, les marais, cavernes et creux d’arbres. Graben s’appliquera donc à les détruire. Pour chacune de ces méchantes bêtes qu’il rapportera, mortes ou vives, il aura une prime de 6 thalers. Enfin, d’après une tradition constante, le sol du Brandebourg, principalement autour des anciens monastères, recelait des trésors. Tous les dix ans, pour s’assurer qu’ils étaient toujours en place, Rome expédiait des jésuites et autres vermines. Graben tâchera de mettre la main sur ces calotins, mais surtout de retrouver les trésors par les moyens usités. Le roi mettrait à sa disposition les livres magiques qui se trouvent dans ses archives avec le speculum Salomonis. « En foi de quoi nous avons signé de notre propre main cette ordonnance, où nous avons fait apposer notre sceau royal… »

Cet étrange personnage n’était pas insensible aux charmes des arts. Il était né musicien et il aimait la musique. De la chapelle de