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Je l’ai oublié, mais ce dont je me souviens bien, c’est que je fus possédé par l’envie folle, irréalisable d’atterrir et de la visiter. Ce que je sais encore, c’est qu’elle était tunisienne. Pas une âme à ses portes et sur ses remparts crénelés qu’une plage dorée séparait de la mer; pas un souffle d’air agitant le feuillage d’un dattier que j’apercevais s’élevant solitaire sur des dunes jaunes. La ville dormait, car il était midi, un midi africain, et, c’est vainement que sur ces murailles blanches, ses minarets immaculés, je cherchais un coin sombre pour reposer mes yeux.

En débarquant, l’année dernière, à Tunis, le souvenir lointain de cette cité sans vie à peine entrevue me revint à l’esprit; je m’efforçai de réveiller l’ardent désir qu’autrefois j’avais eu de visiter une ville des états tunisiens; j’y réussis, mais la réalité, comme cela arrive par momens, ne justifia pas mes rêves d’antan.

Il ne faudrait pas cependant en conclure que la capitale de la régence, ait perdu entièrement son ancien caractère ; mais on aurait tort d’y chercher le mouvement endiablé, le luxe, les larges boulevards du Caire, la silhouette des pyramides se détachant sur un ciel lumineux, les flots rouges du Nil, et jusqu’aux carrosses où, sous les sycomores centenaires de la Chubrah, des eunuques noirs, — Les Auvergnats de l’Égypte, ainsi que Nubar-Pacha les désigne, — promènent les harems confiés à leur garde.

Pour moi qui avais quitté l’Égypte depuis peu de mois, en revoyant des palmiers, des bazars et des femmes voilées, si je m’étais figuré que j’allais y retrouver tout ce qui séduit et plaît sur les bords du Nil, j’aurais été bien vite détrompé et convaincu qu’il n’y a aucune comparaison à établir entre Tunis et le Caire. Quand des déceptions de la sorte se produisent, je pense que le plus sage parti est de ne proférer aucune plainte, et de se mettre en campagne pour trouver dans la nouvelle colonie les qualités qui manquaient à l’ancienne.

C’est ainsi que je fis pour la Tunisie.

Nous avons perdu en Égypte une influence des plus précieuses, influence séculaire et à toujours regretter, mais nous avons heureusement trouvé dans la Tunisie une compensation, et de plus, un pays qui, sagement guidé par nous, ne peut marquer d’accomplir la plus heureuse des métamorphoses, celle qui transforme un peuple paresseux et pillard en une nation laborieuse et honnête.

Il n’y a pas que cela : si l’Égypte est plus que la Tunisie le pays des grands souvenirs, celle-ci a pour elle un passé qui ne manque pas d’éclat, un présent qui n’est pas à dédaigner, puisqu’elle avoisine l’Algérie, que Marseille est à ses portes, que la Sicile et Malte lui