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les quinze mille colons français qui s’y trouvent. Toujours est-il que, depuis longtemps, il n’y a plus de rixes sanglantes entre eux et nos soldats. Le calme, un calme heureux, s’est fait des deux côtés, et l’ordre du jour du général Boulanger enjoignant aux militaires de faire usage de leurs armes s’ils étaient insultés, n’aurait plus aucune raison d’être édicté. La Sicile, depuis des siècles, a vu nombre de ses enfans émigrer en Tunisie ; aussi y sont-ils en majorité. Presque tous sont cultivateurs, ouvriers et fermiers. Fiers, comme l’ont toujours été ceux de leur race, ils s’accommodent assez mal de notre présence, ce qui ne les empêche pas de vivre gaîment, presque insoucians de l’avenir, se plaisant durant les soirs d’été, à racler les cordes d’une guitare tout en fredonnant des canzonette. S’ils réussissent à gagner un léger pécule, ils quittent la Tunisie, franchissent la courte distance qui les sépare du sol natal, puis, achetant un coteau rocailleux qu’ils plantent de vignes, ils y récoltent ces vins ensoleillés chantés par les poètes de tous les temps.

La haute société italienne, très patriote, composée d’industriels, de viticulteurs, d’avocats, de banquiers juifs originaires de Livourne et de négocians très honorables, se tient vis-à-vis de nous sur une réserve jalouse. On ne peut lui demander d’être plus sociable, si tel n’est pas son désir. Elle boude, comme un amoureux boude le rival qui lui a ravi une belle fiancée. La Tunisie, avec son ciel bleu, son sol, au printemps, tout émaillé de fleurs, ses golfes profonds et son diadème de vaporeuses montagnes, est cette fiancée perdue. L’Italie devrait pourtant savoir qui a précipité la régence dans nos bras, qui nous a invités à sauver d’une ruine complète un bey chancelant, un peuple tombé au dernier degré d’effacement. M. de Bismarck tenait en main une pomme de discorde pouvant désunir l’Italie et la France, et il s’est empressé de l’offrir à celle des deux nations qu’il aimait le moins, si toutefois un homme comme lui peut aimer un autre pays que le sien. J’aurais dû dire à la nation qu’il détestait le plus. Pour ne pas déplaire aux Italiens, nous avons refusé de nous annexer la Tunisie, nous contentant d’un simple protectorat. On sait comment nous en avons été récompensés. Pour perpétuer l’influence que Rome prétend entretenir à notre détriment en Tunisie, Rome dépense annuellement plus d’un million de francs en subventions. Subventionnée est la Compagnie italienne de navigation Florio-Bubattino, subventionné le chemin de fer de La Goulette à Tunis; de même pour une dizaine d’écoles ouvertes dans la capitale, à La Goulette, à Sousse, à Monastir et à Sfax; subventionnés le collège italien, l’infirmerie italienne, la chambre de commerce italienne