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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/663

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vit le Tunisien pauvre ou le meskin, dont la condition est assez semblable à celle du fellah d’Egypte ou des lazzaroni de Sicile. Tour à tour manœuvre, marmiton ou portefaix, il bénit Allah si, l’hiver, il peut porter un grossier burnous qui le préserve du froid, et l’été une loque qui le tienne au frais. D’une frugalité sans égale chez aucun peuple, il n’en observe pas moins les prescriptions du Rhamadan, c’est-à-dire, que durant le carême musulman, il s’abstient de nourriture, même d’une cigarette, tant que le soleil brille à l’horizon. Ce n’est qu’à l’entrée de la nuit qu’il mange une galette d’orge cuite sous la cendre, et, avant l’aube, un peu de couscouss. S’il parvient à réunir quelques piastres, il se régale de viande les jours fériés, viande de mouton, qu’il arrose d’un verre d’huile d’olive ; tout à fait riche, il achète un turban, des boléros ou pantoufles, un saindouk, sorte de malle qui ne contient rien généralement, mais que ferme un énorme cadenas. Possesseur de ces luxueux objets, il devient pour les siens un personnage.

En dehors de cette population pauvre, l’indigénat fournit comme ailleurs son contingent d’industriels composé de tisserands, de tanneurs, de teinturiers et des fabricans d’huile. Ceux-ci sont nombreux, car l’olivier est abondant, et, pour diriger une huilerie, un peu de pratique est nécessaire. C’est affaire considérable pour un pauvre indigène que la possession d’un moulin ! Et comme ceux qui en possèdent un sont fiers, heureux de vous le montrer ! Rien de plus modeste pourtant : quatre murailles en pierres sèches recouvertes d’une toiture grossière, et le pressoir de forme antique. Aux environs de la capitale, des Européens ont déjà installé des huileries à vapeur, et quelques propriétaires indigènes n’ont pas hésité à y envoyer leurs olives. La concurrence européenne ruinera un grand nombre de pauvres gens qui n’avaient que leur moulin pour vivre.

Les teinturiers tunisiens sont renommés dans le monde musulman par la belle couleur sanguine qu’ils savent donner aux chéchias, ou calottes coniques des Tunisiens. Les eaux de Zaghouan contribuent beaucoup, m’a-t-on dit, à leur valoir la grande renommée dont elles jouissent. A Stax, les ouvriers ne font que des bleus en employant l’indigo pour leurs cotonnades. Comme ces artisans sont nombreux, qu’ils se contentent d’un salaire modique, ils ne perdront pas de sitôt leur gagne-pain.

Les tanneurs sont encore plus nombreux que les fabricans d’étoffe de couleur. Ils n’ont que l’embarras du choix pour exercer leur industrie, car le pays leur fournit des peaux de bœuf, de vache,