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de l’Europe qu’on appelait alors le pays d’aval, se concentrait dans la partie méridionale, qui forme aujourd’hui le royaume de Belgique. On y parlait une langue formée de la fusion de différens dialectes bas-allemands et connue alors sous le nom de thiois (dietsch, de diet ou deut, qui signifie peuple), c’est-à-dire langue populaire ou vulgaire. Cependant, lorsqu’au XIIe siècle un certain mouvement littéraire se produisit, ce fut en latin, dans l’église et le cloître, en français dans les cours et les châteaux. Les comtes de Flandre, vassaux des rois de France, avaient leur hôtel à Paris, où ils passaient une partie de l’année, et, à leur exemple, les nobles flamands et brabançons, qui avaient combattu en terre sainte aux côtés des croisés de France et de Normandie, ne parlaient guère entre eux que le français. C’est dans la langue des trouvères que Baudouin IX de Flandre et Henri III de Brabant, qui furent, en ce pays, les plus anciens poètes lyriques de la féodalité, composèrent leurs ballades et leurs chansons. Sibylle d’Anjou et Elisabeth de Vermandois eurent des cours d’amour aussi brillantes que celles de Toulouse et de Troyes. Chrétien de Troyes, le poète de Philippe-Auguste, fut aussi celui du comte Philippe d’Alsace et composa en Flandre quelques-uns de ses poèmes les plus célèbres. La grande bourgeoisie, à l’exemple de la noblesse, tirait vanité de parler la langue d’oil et se plaisait à la lecture des chansons de geste et des romans de chevalerie, nés sur les bords de la Seine et de la Loire.

Bientôt, cependant, le goût de la lecture se répandant et gagnant les couches inférieures de la bourgeoisie, on traduisit dans la langue du pays poèmes et fabliaux. Les prouesses de Charlemagne et de Roland, les amours de Lancelot et de Gauvain sont mis alors en vers thiois, souvent avec beaucoup d’habileté et de bonheur. Puis on ne se contente plus de traduire seulement, on imite, on adapte, comme on dit aujourd’hui. C’est ainsi que, vers 1250, la Flandre vit s’acclimater sur son sol pour y devenir plus populaire et y vivre plus longtemps que sur sa terre natale, le Roman de Renard, imité du français de Pierre de Saint-Cloud par un physicien ou médecin de Gand, maître Willem. Cette satire de la société féodale, mordante sous son apparence de bonhomie, fut pendant deux siècles la lecture favorite de la bourgeoisie des grandes communes.

A la fin du XIIIe siècle, l’esprit prosaïque et positif des Flamands se fatigua de la poésie guerrière et amoureuse de la Table-Ronde, et l’on vit naître la poésie didactique. Jacques Van Maerlandt traduit parfois en les abrégeant, parfois en les complétant, de volumineuses compilations latines sur la morale, les sciences naturelles, l’hygiène, la politique, l’histoire sacrée et profane. Toute une école marche