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événement et elles rendaient au peuple l’immense service de réveiller en lui le goût de la lecture, perdu depuis trois siècles. A côté du fécond romancier, le poète Th. Van Ryswyck, l’historien Mertens, J.-A. de Laet, Vander Voort, et bien d’autres, luttaient de tout leur pouvoir contre l’invasion du français et s’attachaient à prouver, en écrivant en vers et en prose, que leur langue maternelle répondait parfaitement à tous les besoins de la pensée, à toutes les exigences de la vie sociale.

Une circonstance particulière les favorisa dans une certaine mesure. Sous le régime précédent, le clergé catholique des Pays-Bas méridionaux s’était opposé de tout son pouvoir à la circulation des livres hollandais, dans lesquels il ne voyait que le véhicule de la propagande protestante, favorisée par le gouvernement. Après 1830, ces craintes n’eurent plus de raison d’être, et l’interdit qui pesait sur les produits de la librairie hollandaise fut tacitement levé. Ce fut même dans les rangs du clergé et du parti qui obéissait à son influence que la cause flamande trouva quelques-uns de ses plus chauds adhérens.

C’est ainsi que, par une de ces contradictions plus apparentes que réelles, comme il s’en produit fréquemment dans le flux et le reflux des idées, des opinions et des mœurs, au lendemain d’une révolution provoquée en partie par l’introduction du néerlandais en Belgique comme langue administrative, on le vit refleurir comme idiome littéraire. Depuis un demi-siècle, il a produit une série non interrompue de versificateurs, de quelques poètes, parmi lesquels il en est trois qui sont arrivés à la popularité, parce que, sous des formes très diverses, ils ont été les interprètes sincères de la pensée morale et sociale, en même temps que du sentiment poétique de la race flamande.


II.

C’était un petit bourgeois rangé et travailleur que Charles-Louis Ledeganck, né en 1809 à Eecloo. Modeste employé, il passe les nuits à compléter des études à peine ébauchées, passe l’examen de docteur en droit, devient juge de paix au village de Somerghem, se marie, adore sa femme et ses enfans, traduit le code civil en flamand, trouve le temps de faire des vers et de créer une langue poétique, et meurt à quarante et un ans.

Son œuvre capitale, c’est sa trilogie lyrique : les Trois villes sœurs. Ces trois villes, ce sont les grandes communes où la liberté, la prospérité, l’art, toute la civilisation originale de la race a atteint son apogée : Gand, Bruges, Anvers. Constatons ici tout