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l’élévation des idées. Aggravée ici par les instincts naturellement très prosaïques du peuple flamand, par son éloignement pour les spéculations philosophiques, par son indifférence pour tout ce qui ne procure pas des satisfactions matérielles immédiates, elle devait finir par le rendre absolument étranger à la haute vie de l’intelligence. Aussi les Belges qui parlaient le français étaient-ils portés à ne pas admettre que ceux qui parlaient le flamand fussent absolument leurs égaux.

Une réaction était inévitable. Elle ne tarda pas à se manifester par des symptômes dont l’intensité a pris jusqu’à ce jour des proportions croissantes. Mais, chose à noter, ce n’est pas dans le peuple, au sein des classes réellement lésées dans leurs intérêts et leur dignité, qu’elle prit naissance. Elle vint, au contraire, d’un petit groupe de lettrés et de professeurs. Le plus actif et le plus influent d’entre eux fut Jean-François Willems, qu’on appela plus tard le père du mouvement flamand.

Receveur des contributions à Anvers, Willems, qui consacrait tous ses loisirs à des travaux littéraires et philologiques, avait entrepris, dès 1814, une série de publicatiouo où il plaidait énergiquement la cause de la langue nationale.

Ce fut avec regret, presque avec désespoir, qu’il vit éclater et triompher la révolution de 1830, qui démembrait la patrie néerlandaise, comme on l’appela plus tard. Il ne se découragea pas, cependant, et reprit à Eecloo, et plus tard à Gand, sa propagande pacifique en faveur du flamand. Le petit groupe qui s’était formé autour de lui allait grossissant. On y remarquait P. Van Duyse, Rens, Verviers, Van Damme, Blommaert. Ce fut ce dernier qui fonda, en 1834, sous le titre de Nederduitsche letterœfeningen (Essais littéraires néerlandais), la première revue littéraire publiée en Belgique en langue flamande, tandis que Rens entreprenait la publication d’une sorte d’annuaire de la littérature flamande qui paraît encore aujourd’hui sous le titre de Nederduitsche letterkundig jaarboekje.

Deux ans après, on avait réuni assez d’adhérens pour former à Gand la société De taal is gansch het volk (la langue, c’est tout le peuple), dont le titre est tout un programme.

Les amis que Willems avait laissés à Anvers se groupèrent, de leur côté, autour du jeune Conscience, qui publia vers la même époque ses premiers romans. L’influence de Conscience fut plus grande sur la masse du public que celle de Willems. On peut trouver aujourd’hui ses évocations du passé historique de la Flandre un peu pâles, ses peintures de la vie contemporaine un peu naïves et même un peu vulgaires : leur apparition n’en fut pas moins un