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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/681

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de garder les vaches, passait tout son temps à crayonner des bonshommes sur les murs et sur tous les bouts de papier qui lui tombaient sous la main. En vain la petite fille du fermier le supplie de ne pas la séparer de son compagnon de jeux, il reste inflexible. Touché du désespoir du garçonnet, l’artiste se charge gratuitement de lui, l’emmène à Anvers, le met à l’école et à l’académie et en fait un peintre. Lauréat au concours de Rome, l’orphelin revient au village au son des cloches et des boîtes à feu, épouse la petite Liva, devient riche et se fait bâtir un castel sur l’emplacement de la prairie où il avait si mal gardé les vaches du fermier Van Hoof.

En congé est un récit de la lande campinoise. Un conscrit, revenu pour quelques jours au logis, apprend que son frère aîné a lâchement abusé de sa fiancée, pour la contraindre à l’épouser. Il tue le misérable d’un coup de fourche et va se noyer dans l’étang voisin.

Il n’y a pas là de conceptions bien neuves, de bien grands efforts d’imagination. Mais le décor et les personnages sont peints avec un coloris sobre et solide.

Van Beers aime et excelle à peindre la nature. Ses paysages sont peu variés, il ne sort guère de sa province. Tantôt ce sont les environs d’Anvers avec leurs villages rians, leurs vergers où « les pommiers tordus et noueux se courbent jusqu’à terre sous leur fardeau vermeil, » leurs prairies où les vaches au poil luisant ruminent couchées dans l’herbe d’un vert d’émeraude, et « leurs champs qui se baignent délicieusement dans l’or du soleil couchant; » tantôt c’est la Campine inculte et sauvage, la bruyère brune qui s’étend à perte de vue où se déroule le ruban blanc de « la route sablonneuse, qui bientôt se perd et s’éparpille à droite et à gauche en un labyrinthe de sentiers et d’ornières » entre les sombres pineraies et l’étang aux eaux dormantes « où se reflète avec une si ineffable douceur le ciel bleu et son troupeau de petits nuages floconneux nuancés de pourpre et d’or. »

Le plus étendu des poèmes de Van Beers et incontestablement son chef-d’œuvre dans le genre narratif, c’est Begga, sorte d’idylle urbaine d’un caractère mi-populaire, mi-bourgeois. Ici les joies et les misères de la vie humble et bornée sont peintes avec tout le relief de la réalité, avec tout le charme de la poésie. Jamais l’écrivain n’a mieux allié le pittoresque du langage familier avec la pureté de la langue littéraire.

Begga est une fille du peuple, une orpheline, comme la plupart des héroïnes de Van Beers ; plus malheureuse que les autres, elle est rebutée et maltraitée par une marâtre qui la condamne aux travaux les plus pénibles, pour finir par la chasser du logis, en