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soyez l’avocat, l’ami de la vertu, sans en être le matamore. »

Après cela, l’honneur étant sauf, il y avait pour lui dans la morale un grand nombre de devoirs qu’il considérait comme des règles de pure convention, et dont il abandonnait l’observance à ceux qu’il appelait les nigauds. Non-seulement il autorisait son fils à savourer toutes les joies de ce monde, pourvu qu’il n’y eût pas d’excès, mais il l’y encourageait avec une crudité de langage qui l’a fait accuser fort justement de cynisme. C’était encore un des caractères de son temps. L’hypocrisie étant une maladie endémique en Angleterre, on la combat comme on peut, et les Anglais ont du goût pour les révulsifs, pour les remèdes violens. Assurément, c’était un cynique que le père qui disait à son fils âgé de quinze ans à peine : « En contez-vous à quelque belle? Faites-moi votre confident ; vous ne trouverez pas en moi un censeur sévère; au contraire, je sollicite l’emploi de ministre de vos plaisirs; je vous en indiquerai, et même j’y contribuerai. » Sa conviction très arrêtée était que les plaisirs élégans sont le seul antidote aux plaisirs bas et grossiers, et que pour échapper « aux courtisanes, à la crapule, à la débauche, à cette fureur qui discrédite et déshonore, » un jeune homme doit avoir un commerce galant avec une femme du monde.

On s’est scandalisé, non sans raison, de la complaisance avec laquelle il revient et insiste sur cet article dans ses fameuses lettres. Le premier Philippe Stanhope n’avait pas encore vingt ans quand son père lui écrivait : — « Lisez Fontenelle, lisez Euclide, lisez en grec Démosthène et Thucydide, mais que le grand livre du monde soit votre principale étude! Nocturna versate manu, versate diurna, ce qui signifie en bon anglais : Passez vos jours à feuilleter les hommes, passez vos nuits à feuilleter les femmes; mais tenez-vous-en aux meilleures éditions. » Et, bientôt après : « On m’assure que Mme de Blot, sans avoir des traits, est jolie comme un cœur, et que nonobstant, elle s’en est tenue jusqu’ici scrupuleusement à son mari, quoiqu’il y ait déjà plus d’un an qu’elle est mariée. Elle n’y pense pas! Il faut décrotter cette femme-là. Décrottez-vous donc tous les deux réciproquement. » — Et il lui expliquait que, pour se décrotter tout à fait, un jeune homme désireux de bien faire doit avoir tout à la fois un arrangement avec une femme déjà mûre, qui se charge de le débourrer, de le dégourdir, et une tendre liaison avec une femme plus jeune, qui le sauve des folies méprisables : — « Que vous dit Mme Dupin? On m’assure qu’elle est encore fort bien. Elle a de l’esprit, de la littérature, de la délicatesse, des manières; un tel arrangement vous serait avantageux et vous mettrait en lumière. Comme elle a perdu l’éclat de la jeunesse, elle sera plus disposée à écouter votre petite histoire si vous la contez bien. Pour un attachement, je la préfère à la petite Blot; s’il ne s’agit que d’une pure galanterie, je préfère la petite Blot; mais l’une n’empêche pas l’autre, et ces deux affaires peuvent être menées de front. »