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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/692

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Il faut accorder au comte de Carnarvon qu’on ne trouve rien de pareil dans la correspondance qu’il vient de publier; mais il est bon de considérer que, quand il reçut les premières lettres de son parrain, le second Philippe Stanhope n’avait que six ans, et que lorsqu’il en eut seize, son parrain était mort. A peine en eut-il sept, on lui expliqua que décrotter signifie polir un jeune homme, lui donner l’air et le ton de la bonne compagnie, le former, qu’une coquette est « une dame pétrie de grâces qui agace les amans, » et ce que c’est qu’en conter à une femme.

Il savait aussi que la plus triste destinée est d’être un lourdaud, un nigaud, manquant d’entregent, d’aplomb et de manières; que la suprême misère est de ressembler à un de ces gentilshommes campagnards dont Fielding a immortalisé l’ivrognerie et les gros goûts dans la personne du squire Western ; qu’on ne saurait étudier trop tôt l’art de plaire, le premier des beaux-arts, et que de très bonne heure il faut avoir des attentions pour les femmes, « flatter leurs vanités, leurs caprices, leurs bizarreries, parce qu’elles décident de la mode et du bon ton, et que, dès qu’une femme du bel air décrie un jeune homme qui lui paraît gauche, maussade et impoli, le voilà décrié comme la fausse monnaie. » Comparez les lettres au futur héritier avec le premier volume des lettres au fils naturel, vous y trouverez la même morale, les mêmes maximes, les mêmes anecdotes et souvent les mêmes expressions, les mêmes formules avec quelques variantes. Les paroles peuvent différer, mais nous connaissions déjà la musique. « Je vous félicite de tout mon cœur de l’heureuse arrivée de l’adorable Jenny Truelove. Quel joli nom pour une pastorale que bergère fidèle! Vous devriez lui faire présent d’un gâteau de la belle et incomparable Trusler, cette perle des pâtissières... Adieu, mon petit drôle; divertissez-vous, soyez gai, et, si vous le voulez, vous n’avez qu’à conter des fleurettes à la divine Jenny Truelove. » Tout cela ressemble à une préparation ; le grand cuisinier mortifie cette viande avant de la larder. Au surplus, le comte de Carnarvon, par un excès de scrupule et au mépris de son devoir d’éditeur, a jugé nécessaire de remplacer par des astérisques un certain nombre de passages qui lui ont paru trop vifs, trop libres et peu respectueux pour l’innocence d’un petit Anglais. Que lord Carnarvon expie son crime en confessant que, si le diable s’était fait ermite, cet ermite n’était pas un anachorète pénitent, et que si, jusqu’à sa mort, il a flétri certaines bassesses qui déshonorent un homme, jusqu’à sa mort aussi il a fait grâce aux péchés aimables qui embellissent la vie.

Les plus nobles instructions qu’il donne à son filleul sont celles qui concernent les devoirs d’un gentilhomme envers ses inférieurs. L’enfant, infatué, paraît-il, de lui-même, de sa situation dans le monde, traitait avec hauteur les subalternes ; son parrain ne se lasse pas de