Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/701

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Viaud, pour son unique tragi-comédie de Pyrame et Tisbé. Mais ce qui rend Hardy plus intéressant encore à étudier, c’est que non-seulement toutes les pièces qui nous restent de lui ont été représentées, mais il est le premier de nos tragiques qui ait vraiment écrit pour la scène; dont les œuvres ne soient point un simple exercice de rhétorique ; et par suite, en un sens plus précis et plus étendu qu’on ne paraît généralement l’entendre, il mérite qu’on le nomme vrai fondateur du théâtre français.

C’est ce que M. Rigal s’est attaché d’abord à établir, et c’est ce qu’on peut considérer désormais, grâce à lui, comme acquis à l’histoire littéraire. Sans doute, au XVIe siècle, animée qu’elle était de la généreuse ambition de tout renouveler, et de substituer aux anciens genres des genres, non pas nouveaux, mais au contraire quelque peu servilement imités de l’antique, la Pléiade n’avait eu garde d’oublier, après l’épopée et l’ode pindarique, la comédie et la tragédie. « Quant aux comédies et tragédies, avait dit du Bellay dans sa Défense et illustration de la langue française, si les rois et les républiques les voulaient restituer en leur ancienne dignité, qu’ont usurpée les farces et moralités, je serais d’opinion que tu t’y employasses; » et l’on sait que presque aussitôt, avec sa Cléopâtre, avec sa Didon, avec son Eugène, Jodelle avait répondu à l’appel. D’autres avaient suivi, et parmi eux, sur la fin du siècle, un vrai poète, Robert Garnier, l’auteur des Juives; d’une Bradamante, la première en date, si je ne me trompe, de nos tragicomédies ; et d’un Hippolyte, qu’on ne saurait mieux louer qu’en disant qu’on y trouve l’origine, ou le pressentiment tout au moins, de quelques-unes des plus belles scènes de la Phèdre de Racine. Mais une chose lui avait manqué, comme à ses prédécesseurs : je veux dire cette épreuve de la représentation, qui peut seule établir entre l’auteur dramatique et le public de son temps la communication sans laquelle, à proprement parler, il n’y a pas de drame. Ce que l’œuvre dramatique a, en effet, de caractéristique et de distinctif, c’est qu’étant faite pour être jouée, — comme la peinture, par exemple, est faite, sans doute, pour réjouir les yeux, et la musique, d’abord et avant tout, pour charmer l’oreille, — on ne saurait la détacher ni des conditions matérielles de la représentation scénique, ni de la nature et de la composition du public auquel elle est destinée. Disons encore, si l’on veut, que, jusqu’à la représentation, il en est d’elle comme d’un enfant qui aurait vécu dans l’isolement de la famille, et dont on pourrait bien dire quels sont les traits les plus généraux de son caractère, mais non pas prédire ce qu’ils deviendront au contact de la vie. Le contact de la vie, pour l’œuvre dramatique, c’est l’épreuve de la représentation. Non-seulement action, mais action publique, ses qualités ou ses défauts n’apparaissent, comme l’on dit, qu’aux chandelles. Et elle