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celui de ses successeurs, la complication de l’intrigue et la multiplicité des épisodes; de là encore le choix des sujets, l’étrangeté, l’invraisemblance des aventures. De là toujours cette résistance aux unités, dont la rigueur, en raccourcissant la durée de l’action, enlèverait à l’auteur ce qu’il tire d’effets de la diversité et de l’intervalle des temps. Si le drame sait qu’il doit être une action, il confond malheureusement encore l’action avec l’agitation. Il brouille ses moyens avec ceux d’un autre art ou d’un autre genre ; et la confusion va durer, comme nous le disions, jusqu’à ce que Corneille, en mettant l’action où elle doit être, — je veux dire, dans l’exercice de la volonté, — ne laisse plus de ressources à ses anciens rivaux que dans la retraite, comme à Mairet, ou, ce qui est plus significatif encore, que dans le roman, comme à Scudéri et comme à La Calprenède.

Puisque ce n’est pas de Corneille que je parle, on me permettra de ne pas insister. Mais on voit ici ce qu’en un certain sens il y a de vain ou de puéril, d’artificiel ou d’arbitraire, et en un autre sens, ce qu’il y a de fondé dans les distinctions qu’on a si souvent essayé d’établir entre la tragi-comédie et la tragédie proprement dite. Les auteurs eux-mêmes ne s’en sont pas très nettement rendu compte. On a peine à saisir la différence que Hardy a mise ou cru mettre entre ses tragédies et ses tragi-comédies. Et, s’il était vrai que, comme on le répète encore, le propre de la tragi-comédie fût de se terminer heureusement, Corneille n’en aurait donc pas écrit de plus caractérisée que Cinna, la dernière pourtant de ses pièces à qui l’on disputera jamais le nom de tragédie ! Mais le fond de la pensée de Corneille, comme de celle de ses contemporains, comme de celle aussi de Hardy, c’est qu’il n’y a de vrais sujets de tragédie que les sujets historiques, et que par conséquent tous les autres appartiennent à l’espèce de la tragi-comédie. Seulement, comme les frontières de l’histoire sont flottantes, et que Corneille lui-même, dans ses sujets historiques, dans son Cinna même, et dans ses Othon ou dans ses Sertorius, n’a jamais pu prendre sur lui de ne pas les transgresser, Hardy aussi n’a pas pu s’empêcher de mêler le roman à l’histoire, de l’embellir de ses propres inventions, de la refaire au besoin quand elle ne lui semblait pas assez intéressante; et c’est pour cela qu’il ne sait trop souvent, non plus que nous, de quel nom il doit nommer ses pièces. Ou, si l’on veut encore, et en prenant un autre chemin pour aboutir aux mêmes conclusions: comme la tragi-comédie, tout en la combattant, ne tendait pas moins à la tragédie comme à une forme plus sévère et plus pure d’elle-même, elle en diffère dans la mesure, très diverse pour chaque cas, dont les variétés d’un même genre diffèrent de celle qui contient, qui résume et qui réalise conséquemment en soi, à un degré supérieur, ce qu’elles ont toutes de commun et d’essentiel.