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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/709

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Je ne sais ce que M. Rigal pensera de ces considérations. Mais pour nous, beaucoup plus que tout ce qu’on pourra nous dire du décor simultané, nous persistons à croire que ce sont ces grandes causes qui ont contribué à déterminer le caractère du théâtre de Hardy. Du moins ne voyons-nous pas de motif pour qu’elles n’eussent pas agi dans le système du décor successif, liées qu’elles étaient à l’état du théâtre, à l’esprit du temps, et surtout à cette loi qui ne veut pas que, dans aucun art, aucun genre ait jamais débuté par ses chefs-d’œuvre. « Ni la nature, ni Dieu même, a-t-on bien osé dire, ne débutent tout à coup par leurs grands ouvrages : on crayonne avant que de peindre, on dessine avant que de bâtir ; » et l’admiration intéressée ou convenue des décadens pour les primitifs ne changera rien à cette loi, qui n’est dans l’histoire de l’esprit humain que l’application de la loi la plus générale des choses. Pour que la tragédie française atteignît sa perfection, il fallait qu’elle eût traversé plusieurs formes inférieures ou rudimentaires d’elle-même. Quel que fût le système décoratif en usage de son temps, Hardy n’aurait donc pas pu franchir les degrés auxquels quelquefois, — je me retrouve avec M. Rigal d’accord sur ce point, — on lui reproche tout à fait à tort de s’être attardé. Avant que le public pût sentir le prix d’une intrigue aussi simple que celle d’Andromaque ou de Britannicus, il fallait qu’il se fût lassé des intrigues implexes de Rodogune et d’Héraclius. Mais avant de s’en lasser, il fallait qu’il les eût goûtées. Et avant enfin de les goûter il fallait qu’il les eût souhaitées. Même le système du décor unique, s’il eût triomphé dès le temps de Hardy, n’eût pas pu empêcher les choses de se passer de la sorte. Et, la preuve, après tout, n’en est-elle pas que, dans le système du décor simultané, s’il a fait plus mal, Hardy n’a rien fait de plus compliqué que cet Héraclius ou cette Rodogune dont nous rappelions à l’instant les titres?

Mais cela ne nous empêchera pas de louer comme il convient M. Rigal de sa découverte. Si elle n’explique pas en effet le caractère du théâtre ile Hardy, elle est intéressante pour l’histoire générale du théâtre français, dont il semble qu’elle éclaire dès à présent plus d’une obscurité. C’est ainsi que l’existence de ce système décoratif, hérité, comme nous l’avons dit, de celui du moyen âge, prouverait à elle seule que les tragédies du XVIe siècle n’ont jamais été représentées sur un véritable théâtre. Car, comme le dit très bien M. Rigal, « peut-on admettre que les Didon, les Porcie, les Hippolyte aient été jouées avec une mise en scène empruntée au moyen âge et devant des spectateurs qui n’en admettaient pas d’autres? Ou bien est-il vraisemblable que cette mise en scène si singulière, qui ne pouvait être acceptée que par des spectateurs accoutumés à elle et aveuglés sur ses défauts, ait été d’abord abandonnée par les confrères, ses défenseurs naturels, et reprise par