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Heureux le savant qui n’aime que la vérité, et qui l’aime assez pour n’en pas compromettre la découverte par son amour même!

Pascal ne semble pas avoir eu d’autre passion dominante; Mme Périer, sa sœur, l’affirme : « On peut dire que toujours et en toutes choses la vérité a été le seul objet de son esprit, puisque jamais rien ne l’a pu satisfaire que sa connaissance ; » mais, chez lui, l’ingérence du sentiment dans les choses de la pensée a peut-être été plus intempérante, plus fougueuse, et, par suite, plus dangereuse que chez tous les autres savans croyans ou philosophes. La foi procède du cœur; et c’est la foi qui, au nom de la vérité, l’a poussé au mépris de la raison humaine par une méconnaissance effrayante de sa propre mission, de son propre génie organisé pour la science; c’est la foi qui l’a poussé au pyrrhonisme en l’armant contre cette raison, sans laquelle il n’eût rien été.


II.

Pascal a sacrifié la raison au cœur dans sa polémique religieuse; en devons-nous conclure qu’il a attribué à celui-ci, en matière de connaissance, une autorité entièrement usurpée? Ou ne se pourrait-il pas qu’il eût seulement exagéré le rôle du sentiment dans la connaissance ; qu’il eût abusé de quelque indication juste, mais vague, du cœur pour en faire bénéficier le dogme chrétien en prêtant à cette indication un objet précis et bien déterminé ; qu’il eût, en un mot, transformé un pressentiment très obscur en une révélation dogmatique? Il n’est pas vraisemblable qu’une intelligence aussi complète et aussi forte qu’était la sienne ait été tout à fait dupe. On doit présumer que, s’il a adopté la tradition chrétienne dans la pleine maturité de son génie, après l’avoir passivement admise durant ses premières années, c’est qu’il y avait rencontré, outre l’intime satisfaction du plus impérieux penchant affectif de son cœur, de quoi répondre à quelque fonction intellectuelle du cœur même. Il croit, nous le savons, que toute révélation de la vérité n’est pas un fruit de la raison, a Le cœur a ses raisons, dit-il, que la raison ne connaît pas. » Cette parole célèbre, si elle est vraie, a une telle portée qu’il est impossible de la condamner avant de l’avoir examinée avec la plus scrupuleuse attention. Il ne s’agit pas de chercher si les indications du cœur sont des notions susceptibles d’affecter tous les caractères scientifiques : soit l’évidence par elles-mêmes, soit la démonstration par raisonnement déductif, soit la preuve expérimentale ; car on ne verrait pas alors en quoi les révélations du cœur différeraient des découvertes de l’entendement ; celui-ci opère toujours sur quelque donnée sensible, d’ordre physique ou