moral. Mais il s’agit de savoir si un sentiment peut être, à quelque degré, dépositaire d’une notion, sinon précise, du moins objective, quoique indéterminée.
On dit les sentimens du cœur et aussi les mouvemens du cœur. Le mot émotions signifie ces deux choses réunies. Le mot cœur, dans son acception morale, désigne donc ordinairement cette double aptitude de l’âme à sentir et à se déterminer par le sentiment seul. Pascal y attache quelque chose de plus; il prête au cœur la faculté d’affirmer, aptitude supplémentaire fort importante à ses yeux, puisqu’elle lui permet de croire en se passant de la raison. Dans ce que nous allons dire, nous ne demanderons pas à celle-ci d’abdiquer, mais seulement d’admettre le témoignage du cœur au même titre que celui des sens, lorsque ce témoignage lui semblera aussi irrécusable, et de l’accepter, au moins, comme simple document dont l’esprit scientifique doit tenir compte sans pouvoir encore l’employer dans l’étage actuel de son édifice.
Tandis que la sensation, effet immédiat de l’impression de l’objet sur les nerfs, peut exister en nous indépendamment de toute idée et précède même la pensée pour lui fournir ses matériaux, le sentiment suppose toujours une idée, un jugement, si rudimentaire soit-il, porté sur sa cause. C’est là le point de contact du cœur avec l’esprit. Considérons le sentiment esthétique. Il implique la pensée, comme tous les autres, au moins à l’état de rêve. Le récit d’un trait d’héroïsme, d’un beau sacrifice, la vue d’un beau corps, d’un beau paysage, réels ou figurés, l’audition d’une belle symphonie, nous émeuvent; elles nous font rêver, ce qui est penser vaguement. Or cette pensée vague n’a-t-elle qu’un objet purement imaginaire, composé d’élémens tirés du réservoir de nos souvenirs, comme serait l’idée d’un cheval ailé, par exemple ? Ou bien a-t-elle quelque objet réel, bien que inaccessible et indistinct?
La réponse à cette question est de la plus haute importance, car il en pourrait résulter que l’esthétique ne fût pas toute subjective, et que la faculté d’admirer, révélatrice de quelque inconnu, participât des fonctions intellectuelles. La science n’est pas encore en état de résoudre ce problème ; nous en sommes réduits aux conjectures ; mais les solutions approximatives ne sont pas à dédaigner quand elles reposent sur des données que chacun peut trouver dans sa propre conscience et quand on n’en surfait pas l’exactitude. Nous sommes d’ailleurs tenus de ne rien négliger qui puisse expliquer l’acquiescement d’un génie tel que celui de Pascal aux doctrines mystiques, et il faut convenir qu’il y a dans cet acquiescement quelque présomption favorable au principe, sinon à la formule de ces doctrines.