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sente pas cette conséquence dans le morceau fameux où il humilie l’homme par l’infiniment grand, le reconnaît expressément dans un autre endroit. « l’homme est un roseau pensant. » C’est dans sa pensée que réside sa dignité; sa condition matérielle y est indifférente. « Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, etc. » Il ne s’ensuit pas que le volume des corps soit sans aucune relation avec leur complexité organique, laquelle se trouve liée à leur degré de dignité dans la série des êtres vivans. La complexité organique décroît évidemment quand le volume du corps dépasse un certain degré de petitesse. Mais au-dessus de cette limite, l’une n’est plus bornée par l’autre; la valeur cérébrale d’une espèce n’est nullement proportionnelle à la taille de ses individus.

Il existe un lien secret, d’un autre ordre, qui rattache la dignité humaine aux infinis physiques, et qu’on découvre en scrutant les méditations si pénétrantes de Pascal sur les deux infinités. Ce lien se manifeste dans l’émotion esthétique que ces infinis font naître, dans le divin qu’ils impliquent ou supposent. « Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté... » Le divin devient alors, sinon la commune mesure entre eux et l’essence humaine, du moins un lien. Il est leur fond commun, car il y a du divin dans l’homme. Pascal l’affirme comme il le sent : « Deux choses instruisent l’homme de toute sa nature : l’instinct et l’expérience. » Or, l’homme a l’instinct de son investiture supérieure : « Nous avons une idée si grande de l’âme de l’homme que nous ne pouvons souffrir d’en être méprisés et de n’être pas dans l’estime d’une âme; et toute la félicité des hommes consiste dans cette estime. » — « Il d’homme) estime si grande la raison de l’homme que, quelque avantage qu’il ait sur la terre, s’il n’est placé avantageusement aussi dans la raison de l’homme, il n’est pas content. C’est la plus belle place du monde... »

Mais s’il y a dans l’homme du divin, révélé au fond de sa conscience par le sentiment du beau moral, de la dignité, dont le principe est à la fois indéterminé et indéniable, vague et impérieux, il s’en faut cependant que tout y soit divin, qu’il se sente partait, réalisant un idéal. Aussi sa valeur morale flotte-t-elle entre le pariait et le pire, comme sa valeur physique entre l’infiniment grand et l’infiniment petit : « l’homme n’est ni ange, ni bête... » — « Il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes, ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre. De même pour la valeur intellectuelle : « Notre intelligence tient, dans l’ordre des choses intelligibles, le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature... » — « Ce que nous avons d’être nous dérobe la connaissance des premiers principes, qui