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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/787

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et il faut l’expliquer. Jusque-là, Pascal n’a pas eu besoin de recourir au dogme chrétien, car la révélation par l’histoire, la vie et la conscience, des étranges alliages de la nature humaine, de son importance infime d’une part, colossale de l’autre, au milieu des deux infinités contraires qui se la disputent, cette révélation n’est pas essentiellement chrétienne. Quiconque déchoit de son idéal par ses actes, tout en y aspirant par ses vœux, quiconque frissonne devant la profondeur muette et peuplée de l’espace sans bornes, est initié par la seule émotion esthétique aux angoisses de Pascal et les ressent au même titre que lui, sinon dans la même mesure. Ce qu’il éprouve avec une intensité doublée par sa puissance d’analyse, d’autres, par la seule intuition naturelle, l’éprouvent aussi, moins vivement, sans doute ; mais leur émotion n’en est pas moins de même origine et de même qualité. Il ne s’agit encore, en effet, que de la révélation spontanée. Tout en reniant cette révélation avec horreur, parce qu’elle fait, sinon opposition, tout au moins concurrence à l’autre, à la révélation chrétienne, Pascal ne laisse pas d’en subir inconsciemment les suggestions. Il a beau dire : «... Sans l’Écriture, qui n’a que Jésus-Christ pour objet, nous ne connaissons rien et ne voyons qu’obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature. » — «... Jésus-Christ, hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée, » et à propos du déisme, idéal rationnel dont le souci dérive de la révélation spontanée : «... Et par là ils tombent dans l’athéisme ou dans le déisme, qui sont deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également, » — néanmoins, par une contradiction inconsciente, il reconnaît en termes exprès dans le cœur humain des germes de révélation antérieurs aux actes de foi chrétienne, germes qu’il attribue à un ressouvenir latent de la condition première perdue par le péché originel, mais dont la fermentation s’explique aussi bien et plus simplement par le sentiment esthétique, par l’aspiration, tels que nous les avons définis. — « Malgré la vue de toutes nos misères, qui nous touchent, qui nous tiennent à la gorge, nous avons un instinct que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève. » Et ailleurs : « Qui ne hait en soi son amour-propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. » Ce dernier instinct ressemble si fort au précédent que Pascal est téméraire de le haïr. Enfin cette secrète a inquiétude » de l’homme trouve l’expression de son objet dans la nature, qui reflète quelque chose de Dieu. « La nature a des perfections pour montrer qu’elle est l’image de Dieu, et des défauts pour montrer qu’elle n’en est que l’image. » La page sur le divertissement est une analyse de cette inquiétude. « Ils (les hommes) ont un instinct secret qui les