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tout, » et que ce Dieu « ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Évangile. » Dès lors il a pris conscience de a la grandeur de âme humaine, » à qui Dieu se communique. Il en éprouve un attendrissement ineffable : « Joie, joie, joie, pleurs de joie. » Mais il tremble soudain que Dieu ne le quitte comme il l’a déjà fait : « Que je n’en sois pas séparé éternellement !» — « Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Évangile. » Il voit clairement que la vie éternelle consiste dans la connaissance du seul vrai Dieu et de Jésus-Christ. L’Évangile l’y conduira sous la tutelle de l’Église. Il abdique toute sa volonté entre les mains de son directeur. Il renonce entièrement aux attaches terrestres, et cette « renonciation totale » est « douce ; » il en savoure profondément la douceur dans une « soumission totale à Jésus-Christ et à son directeur. » Les épreuves de la vie passagère s’effacent à ses yeux devant l’éternité bienheureuse qu’elles promettent. « Eternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre. »

On devine, sans l’oser traduire, ce colloque sublime entre une grande âme, d’une aspiration sans bornes, et l’objet suprême de ses désirs qui répond à ses appels par un verbe ignoré de l’oreille, mais parfaitement distinct pour le cœur. L’accent de cet entretien extatique a sans doute différé peu de celui qui anime, dans la seconde partie du morceau intitulé le Mystère de Jésus, le pénétrant dialogue dont les dernières paroles : « Seigneur, je vous donne tout, » sont d’un abandon si simple et si passionné. La critique de ce phénomène mental ne saurait être, selon nous, trop circonspecte ni trop respectueuse. Il est loisible au physiologiste d’y voir un détraquement accidentel des fonctions du cerveau, mais il n’est pas moins permis au psychologue d’y reconnaître, au contraire, le rétablissement normal d’une paix intérieure troublée pendant huit ans par un conflit de penchans et d’aptitudes opposées, le triomphe définitif d’une tendance religieuse, innée et prédominante, sur une curiosité scientifique armée de génie, le dénoûment régulier d’un drame moral dont une des plus nobles consciences humaines a fourni le théâtre et les péripéties.


X.

En dernière analyse, tout ce qu’il y a d’énigmatique, au premier abord, dans la vie morale de Pascal, telle que ses écrits la révèlent, nous semble s’expliquer naturellement par ce qu’on sait touchant l’origine, la singulière énergie, et l’antagonisme de ses penchans et de ses aptitudes innés, par les différens milieux qui les ont favorisés, enfin par l’influence de son état maladif sur sa pensée.