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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/798

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pleine confiance dans sa raison, que Pascal, au contraire, abdiquant la souveraineté de la sienne, opère sa conversion définitive. Cette conversion, ne l’oublions pas, n’est point un retour à la loi, car, à vrai dire, il ne l’avait pas perdue, il la possédait à l’état latent, inconscient, non encore contrôlée par un examen approfondi de la religion catholique, mais telle que son père la lui avait imposée et insinuée dès sa première enfance avec le concours de ses dispositions innées. Il est possible, et même fort probable, que la fréquentation de la haute société, où il brillait alors par sa réputation et par ses aptitudes éminentes et où il rencontrait des esprits libertins, avait troublé la sécurité première de ses croyances. Mais il avait conservé intact l’essentiel de son credo, la foi dans l’existence d’un Dieu unique, dans l’immortalité de l’âme, dans la révélation, dans la mission rédemptrice du Christ, dans l’authenticité des livres saints, fondement de ces dogmes capitaux. Sa conversion ne fut qu’un retour à l’exercice de la piété, retour fatalement déterminé par le fond mystique de son âme, mais sans doute précipité par la commotion cérébrale qu’il ressentit au pont de Neuilly, dans l’accident de carrosse dont le curé de Chambourcy nous a transmis la relation. Il est permis de regarder comme une suite de cet accident l’hallucination dont l’abbé Boileau, dans une de ses lettres, raconte que Pascal, vers cette époque, était affligé : il croyait toujours voir un abîme à son côté gauche. Quoi qu’il en soit, ces troubles morbides, tout accidentels, n’avaient nullement altéré ses facultés intellectuelles quand il subit, pendant la nuit du 23 novembre 1654, la crise décisive de son renouvellement religieux. Ce n’est pas un fou, certes, mais un chrétien en pleine possession de son esprit qui entra dans cette communication extraordinaire avec l’objet de son culte, car, deux ans après, ce même homme écrivait les Provinciales, dont la composition est aussi solide que le style en est merveilleux. Les phases de cette crise morale sont marquées sommairement comme par des signes mnémoniques, entièrement intelligibles à celui-là seul qui les a traversées, dans l’écrit qu’on trouva dans son habit après sa mort, et que publia pour la première fois Condorcet. Il ressort de ces brèves indications que, cette nuit-là, Pascal a directement « senti » l’existence de Dieu, « du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, » par une ardente et irrésistible invasion de la foi dans son âme; que cette intuition de la vérité souveraine lui a procuré une absolue « certitude » et « une paix » délicieuse ; que « le Dieu de Jésus-Christ » s’est, par une intime révélation, déclaré son Dieu; que l’adoration de ce Dieu, désormais exclusive, a définitivement supplanté dans son cœur le souci « du monde et de