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Au débouché de la piste, un amoncellement gracieux de maisons blanches apparaît à votre gauche; elles sont étagées comme au bord d’un lac immense sur lequel glisseraient, ainsi que des alcyons, quelques barques aux voiles latines. C’est le petit port d’Hammamet. Assez loin de là, on fait halte devant une propriété dont la porte d’entrée, soigneusement fermée, et les cactus qui la bordent, n’ont rien d’hospitalier. En face est le caravansérail de Bir-Loubit. Il s’y trouve un large puits où bêtes et gens s’abreuvent avec délices. Oh! combien l’eau, dans ces pays de soleil, vous semble rafraîchissante ! Sur les bancs de pierre qui bordent cette hôtellerie aux arceaux sombres, ouverte à tout venant, sont accroupis des Arabes qui dorment, fument, prient, tout en vous regardant avec une suprême indifférence. L’expression de leurs yeux n’a rien d’hostile, et si, possédant leur langue, il vous plaisait de leur parler, ce serait avec déférence qu’ils vous répondraient. Aurait-on, en Algérie, cette politesse? Certes, non.

Barrah ! s’écrie d’un ton guttural le cocher, et l’on continue sa route dans la direction du sud. La piste devient de moins en moins perceptible; parfois elle l’est si peu, il y a un tel entrecroisement de sentiers, légèrement battus, qu’une nuit j’ai vu mon cocher cherchant à s’y reconnaître au moyen d’une allumette-bougie. Les boutades des touristes s’expliquent par ce seul fait. Vous trottez ensuite pendant de longues heures au centre de plaines couvertes de fleurs : fleurs jaunes, écarlates, mauves ou blanches, il semble impossible qu’elles aient pu se multiplier à un tel degré avec l’aide seule des oiseaux émigrans ou du pollen que les vents épandent au loin. Quoi qu’il en soit, c’est le plus merveilleux des jardins. Des naturalistes ne demandent-ils pas vers quelles régions mystérieuses et ensoleillées volent les alouettes à la fin de nos hivers? Ici, peut-être. On en voit par milliers qui, à votre approche, souvent sous vos pieds, s’élèvent dans les airs, planent à perte de vue, puis s’abattent à deux pas de vous dans une touffe d’herbes où elles disparaissent en gazouillant.

A côté de cette nature fleurie et chantante se rencontrent d’innombrables vestiges du passé : ruines de cités romaines, décombres de citernes, d’aqueducs, de colonnes brisées, de pans de murs maintenus debout par un miracle d’équilibre. C’est à supposer qu’aux époques romaine et byzantine les rives du golfe d’Hammamet étaient, comme celles de l’antique Parthénope et de Baïa, bordées de villas et de villes. Qu’on se figure le littoral de la Méditerranée, de Cannes à San-Remo, sans arbre, sans maison, où, sur un sol recouvert de lentisques et de blanches bruyères, seraient couchés les débris de somptueuses villas, et l’on aura