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pas comme il peignait. Ce n’est pas dans les distractions de l’homme, mais dans l’œuvre où l’artiste s’est mis tout entier, qu’il faut chercher l’expression directe de sa sensibilité.

Écartons les dessins de Victor Hugo et relisons ses écrits.


III.

Ici la tâche de l’analyste est moins simple; il doit craindre d’être dupe des mots : de multiples influences que nous avons énumérées tendent constamment à fausser, chez un écrivain, la signification des termes relatifs aux impressions sensorielles. Pour dégager les perceptions natives et les restituer dans leur intégrité, il faudra tenir compte de toutes les circonstances qui ont pu modifier la langue et les procédés d’expression de notre poète. Un tel travail ne pourra donc être mené à bonne fin que par une rapide revue de la vie et de l’œuvre de Victor Hugo considérées dans leur dépendance et leur unité.

Les premiers vers n’offrent qu’un intérêt secondaire à notre recherche; les mots exprimant la couleur qui s’y rencontrent ne dénotent ni une sensation directe ni un effort pour rendre le détail d’une nuance qu’il aurait lui-même distinguée. Aussi l’auteur peut-il à bon droit affirmer, dans la préface des Odes, que, pour lui, « la poésie n’est pas dans la forme des idées, mais dans les idées elles-mêmes, » jugement qu’il complète en condamnant l’antithèse comme un procédé extérieur et artificiel. Jusqu’alors, en effet, la « forme » est ce qu’il y a de moins personnel en lui, si l’on entend par là l’élément concret et sensible de l’expression, l’empreinte que la pensée garde de son origine physique et d’où lui vient le pouvoir d’évoquer à son gré le monde matériel qu’elle a traversé.

On sourit en songeant à l’importance que cette « forme » maintenant dédaignée va bientôt prendre dans l’œuvre de Victor Hugo, mais on comprend sans peine qu’il la considère encore comme indifférente, puisque les mots avec leurs images ne lui rappellent aucun « événement intérieur, » aucune émotion entrée par les yeux et répandue ensuite dans l’âme.

La faute n’en est pas tout entière aux influences littéraires qu’il subit à ce moment, car ce n’est pas ainsi que ce Chateaubriand, « qu’il voulait être ou rien, » comprenait le style et la poésie. Si le peintre d’Atala et de l’Itinéraire mérite de passer pour un novateur et un chef d’école, si l’on a pu dire qu’il a tout ensemble préparé et ouvert notre siècle littéraire, c’est précisément parce qu’il a rajeuni les « formes » extérieures de la langue classique que le XVIIe siècle avait usées jusqu’à la trame, c’est parce que,