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navrans sur l’accident ; en partant, il écrit sur son calepin : « On dirait une cuve pleine de vert-de-gris. »

Ne lui parlez point des couleurs prises en elles-mêmes, indépendamment des impressions qu’elles doivent traduire : « La mer est un saphir, le ciel est une turquoise, » voilà tout ce que ses yeux lui ont appris, ses yeux fascinés par ces « magnifiques échanges d’ombres et de rayons qui se font entre le ciel et la terre. »

Le voyage de 1843, aux Pyrénées, ne révèle point une autre disposition ; seulement, comme le tour d’imagination du poète a changé depuis ces jours d’adolescence où il cherchait à se représenter ses premières courses à travers le monde, l’Espagne lui cause la plus étrange déception : « Hélas ! Irun n’est plus Irun ! Irun ressemble aux Batignolles ! Et Fontarabie ! Elle était restée dans mon esprit comme la silhouette d’un village d’or, au fond d’un golfe bleu, dans un élargissement immense... Je ne l’ai pas revue comme je l’avais vue. » Il est moins gêné avec les sites qui lui étaient encore inconnus et qu’il peut modeler à sa guise. Ainsi c’est à Pampelune, où il n’est jamais allé, qu’il reconnaît enfin l’Espagne: « Tout un monde qui sommeillait en moi s’éveille, revit et fourmille dans ma mémoire... le voilà plus resplendissant que jamais. »

Le long exil du maître et le voisinage constant de la mer n’ont fait que déterminer et fortifier cette tendance à regarder toutes choses en soi-même, à substituer la suggestion Imaginative à la donnée sensible, dès qu’il s’agit d’une représentation poétique. La métaphore est désormais le seul procédé de signification dont il use. C’est un moyen concret et saisissant qui a parfois l’avantage de susciter directement aux yeux une impression que l’esprit serait impuissant à traduire par des signes abstraits : ainsi « le flot huileux et lourd décomposant ses moires, » la « cuirasse écaillée de la mer, » voilà qui rend merveilleusement un aspect rapide et précis qu’on aurait quelque peine à analyser. Mais combien de fois, en revanche, la figure est-elle amenée par tout autre chose que par la note particulière de la sensation ! c’est, le plus souvent, la pensée présente ou plutôt l’état mental général du poète qui fournit le thème de la comparaison implicite : la pleine lune devient à volonté une « hostie, » ou une « tête coupée ; » le croissant une « faucille, » un « fer à cheval « ou un « hausse-col ; » la bande de pourpre qui borde le ciel au couchant, une « épée sanglante, » « un verrou de fer rouge » barrant la porte des nuits, etc. Parfois même l’image se réduit à une allusion spirituelle, sans aucun rapport physique avec l’objet perçu qu’elle prétend caractériser : ainsi la « crête-rouge du coq-matin, » la bruyère a camail violet » du vieux mont qui officie.

Il faudrait, pour bien faire, démêler dans toutes ces figures les