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les couleurs claires et brillantes, tendent à se confondre avec l’éclat qui les avive et à se perdre dans la blancheur rayonnante ; toutes celles, au contraire, qui s’imprègnent dans les choses et semblent enfouir leur clarté dans les pores de la matière, les couleurs mates et sombres, ont leur terme et, pour ainsi dire, leur idéal dans la noirceur absorbée.

En sorte que, pour un sens optique tel que celui de Victor Hugo, les données chromatiques primitives et typiques sont le blanc et le noir, représentant essentiellement les deux modes suivant lesquels les corps reçoivent la lumière.

Nous atteignons là le principe même de la sensibilité visuelle que nous avons entrepris d’analyser; mais cette explication, si fondamentale qu’elle soit, ne suffit pas à rendre compte des déformations particulières dont témoignent les derniers ouvrages du maître. La vision simplifiée et accentuée y trahit de profondes modifications dans le fonctionnement de l’appareil où se forme l’image : c’est le second point qui s’impose à notre attention.

Tout d’abord, par l’effet de la méditation continue, de l’obsession des images, du poids constant des soucis, le regard du maître, autrefois si souple et si alerte, est devenu fixe, ce qui donne à sa perception une précision, une netteté, une rigueur par où s’explique le caractère des métaphores suscitées : « Coups de lumière, déchirures de soleil, lames d’argent, barres de feu, plaques de lumière, flaques d’ombre, éclaboussures d’étoiles...» De là cette impression de contraste, de saillie, cet effet de « repoussoir » qu’entraîne toujours l’effort de l’œil pour isoler un objet de son voisinage.

La conséquence immédiate de cette fixité est que le champ coloré, ainsi touillé et analysé, ne subsiste pas à l’état de fond mat et uni : la tension de l’appareil fait saillir dans la teinte plate une foule de points lumineux, et la couleur se résout en un fourmillement où se recompose la lumière blanche. Voilà pourquoi l’œil bandé ne perçoit plus que l’éclat, — c’est-à-dire les rayons réfléchis, — et non la nuance absorbée par la surface miroitante.

Mais aussitôt, par l’effet de la même fixité persistante, l’éclat se change en scintillement, et les couleurs, d’abord évanouies, reparaissent dans la décomposition du prisme amenée par le miroitement : elles jaillissent, régulières et uniformes, dans l’alternance géométrique des rayons, nettes, distinctes et sans nuances, avec la vivacité vibrante de l’éclair, aussi différentes de l’espèce de teinture inerte et molle dont semblent imprégnées les choses matérielles qu’un arc-en-ciel diffère d’un champ de fleurs.

L’homme qui voit ainsi rapporte fatalement toute couleur aperçue dans les objets à tel ou tel élément du spectre que l’effort de