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son regard y développe; il tire ses définitions ou comparaisons de l’aspect des seuls objets qui scintillent naturellement et constamment à tous les yeux, les astres et les pierres précieuses. Victor Hugo en vient bientôt là, sous l’influence des causes d’altération diverses qui affectent son tempérament, durant les longues années de solitude et d’exil passées au bord de la mer. Les nuances fines et changeantes de l’aurore prennent peu à peu pour lui la certitude et la dureté de ton du minéral : c’est « une fumée de saphirs, d’onyx, de diamans; » la voûte stellaire est une effrayante queue


De paon ouvrant ses yeux dans l’énormité bleue...


Tellement qu’à l’heure


Où Midi, le plus effréné des Jordaens,
Jette son flamboiement d’astre et de coloriste,


l’Univers apparaît à ses yeux enfiévrés comme « un amas de clartés, de braises, de rayons, de rubis, » donnant l’impression « d’un immense dragon constellé » de pierreries...

Un pareil étincellement ne peut aboutir qu’à l’éblouissement : à mesure que la vieillesse diminue, chez Victor Hugo, la force de réaction organique, la tension musculaire amène plus vite l’afflux de sang qui frappe le nerf optique de congestion momentanée. « La fixité calme et profonde des yeux » a pour terme nécessaire l’irradiation cérébrale où sombrent toutes les sensations comme tous les rêves du poète. Nous avions vu les couleurs se séparer en deux groupes : les unes, tenant de la clarté et représentant la joie, la liberté, la bonté, la vie; — les autres, tenant de la nuit et représentant le malheur et le mal, la servitude et la mort : dualisme qui se résumait en l’antithèse de la lumière et de l’ombre, principe de toutes les allégories et même de toutes les conceptions du poète. Mais ce manichéisme n’est pas la dernière étape de l’esprit de Victor Hugo, pas plus que le contraste n’est la dernière forme de sa sensibilité. Toute ombre obstinément contemplée s’évanouit en clarté, comme tout problème médité se résout en évidence. La muraille de l’Être,


bloc d’obscurité funèbre,
Monte dans l’Infini vers un brumeux matin,
Blanchissant par degrés sur l’horizon lointain,
Et, commencée en nuit, finit dans la lueur...


Le poète, qui a les yeux tournés vers l’avenir, ne voit plus que