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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/890

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expédient sous forme de farine et gardent le son ; jadis ils exportaient des tourteaux, aujourd’hui ils en importent pour 19 millions de francs. Autrefois le vêlage se faisait au printemps, il a lieu en octobre et novembre, afin d’obtenir le maximum de production quand les prix sont élevés. Remarquons d’ailleurs, avec M. Martinet, que peu de pays exportent du fromage, tandis que beaucoup exportent du beurre, et que l’exploitation du lait suppose une certaine intensité de culture ; aussi l’Amérique du Sud, l’Afrique et l’Australie sont-elles des pays d’importation. Un climat trop chaud et trop sec ne favorise pas la sécrétion laitière ; par exemple, le bétail du midi de la France, de la Hongrie, n’est pas laitier, on l’élève pour la boucherie. Observons aussi que cette industrie prospère dans les contrées dont le climat humide comporte une certaine fraîcheur du sol, c’est-à-dire près de la mer, des cours d’eau ou sur les montagnes.

Pour protéger leurs industries pastorales, les autres pays se hérissent de droits protecteurs : Allemagne, 25 francs pour 100 kilogrammes ; Danemark, 29 ; Espagne, 35 ; Grèce, 56 ; Italie, 12 ; Norvège, 28 ; Portugal, 56 francs pour les fromages communs et 98 francs pour les fromages fins ; Suède, 10 ; Serbie, 60 francs ou 8 pour 100 ad valorem ; États-Unis, 46 francs ; Russie, 122 francs. Seule la France ne s’associe pas à ce mouvement et continue à percevoir un droit ridicule de 4 francs ; conséquence : l’État perd ses droits de douane, les fromages suisses, refoulés, inondent le marché français. Il semble, dit M. Viette, que, dans la lutte pour la vie, nous apportions à désarmer nos compatriotes autant de soin que les autres peuples en mettent cà protéger leurs nationaux. Si encore le consommateur y trouvait son avantage ? Mais le bon gruyère se vend au détail 2 francs à 2 fr. 50 le kilogramme, le producteur français le livre à 1 fr. 10, 1 fr. 30 ; le consommateur le paie donc le double du prix obtenu par le fabricant. L’effondrement des prix n’a pas tardé à se produire, et la crise a atteint les Suisses par contre-coup. Les qualités supérieures, qui se vendaient jadis 150 à 175 francs les 100 kilogrammes, ont fléchi jusqu’à 120. Depuis sept ou huit mois, cependant, les cours remontent vigoureusement ; la consommation a fortement augmenté, le chiffre des importations suisses, qui dépassait 15 millions de kilogrammes en 1887, a diminué en 1888 de 7 millions environ de kilogrammes, on espère que les chambres voteront en 1892 des tarifs compensateurs. La crise est-elle conjurée ? De très bons esprits ne croient pas à la durée de cette hausse subite et prophétisent la baisse, car les causes de danger peuvent renaître et n’ont pas disparu sans retour.