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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/205

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jour, sous le nez des autorités civiles et militaires, à la barbe des autorités judiciaires, au vu et su de tout le monde, qui trouve cela la chose la plus naturelle, leurs revanches et leurs soulèvemens, comme j’ai eu cent fois l’occasion de le constater moi-même de 1873 à 1876. » Les surprises s’émoussent, on s’accoutume à tout, et M. Houghton résolut de ne plus s’étonner de rien. Il comprit que ce qui pourrait sembler extraordinaire sur les bords du Danube, de la Tamise ou de la Sprée est fort ordinaire sur les bords du Mançanarez, dont on a dit que c’est la première rivière du globe pour y naviguer à cheval et en voiture, et il finit par se dire : « Question de climat et de race, affaire d’habitude et d’éducation, influence des milieux et des antécédens ! »

Il ne suffit pas de ne s’étonner de rien, il faut s’informer, s’enquérir, se faire raconter la pièce par les acteurs, et les politiciens de Madrid sont à l’ordinaire avares de leurs confidences. La politique espagnole est une science occulte dont les adeptes ne révèlent pas volontiers les secrets aux profanes. Il n’y aurait qu’un juste incorruptible, sans reproche et sans tache, qui pût avoir le courage de mettre à nu la conscience des pécheurs ; mais les justes sont rares en Espagne, et leurs ennemis prétendent qu’ils sont tout au moins des demi-pécheurs. Pourquoi les perdans dénonceraient-ils les pratiques secrètes de leurs adversaires ? Demain peut-être ils les emploieront à leur tour, et en dévoilant le passé des autres, ils craindraient de compromettre leur propre avenir.

En 1876, quand la guerre carliste eut pris fin, M. Houghton s’établit à Madrid, où il s’occupa de rassembler des matériaux pour son livre. Il ne se borna pas à collectionner des documens officiels et particuliers, il tenta de faire parler les muets. À l’exception de M. Castelar, l’homme à la bouche d’or, les chefs de parti lui fournirent peu de renseignemens ; mais les militaires furent moins réservés, et, parmi les informations qu’il recueillit, les plus importantes sont les communications que lui fit le général Pavia. C’est ainsi qu’à force de patience et d’opiniâtre curiosité, il a pu retracer les origines de la restauration de 1874, amenée graduellement, pense-t-il, par la folie des intransigeans qui renversèrent M. Castelar, par l’infructueux coup d’état du 3 janvier, par la politique incertaine et flottante du maréchal Serrano.

Assurément, personne ne contestera que la première cause du rétablissement des Bourbons ne doive être cherchée dans les utopies, la démence, les fautes énormes des intransigeans qui avaient résolu de convertir l’Espagne en république fédérale, et qui ne réussirent qu’à en faire un pays inhabitable même pour les plus philosophes des Espagnols, pour les plus disposés à s’accommoder de tout, pour les plus capables de vivre heureux dans une maison dont les cheminées fument ; mais quand la maison menace ruine, qu’elle n’a plus de toit, que les