Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Soudan ont été largement soutenus par lui, et à chaque levée de boucliers, il intervient toujours avec une largesse que rien ne lasse. On reconnaît un membre de la confrérie des Kaderya à sa façon de prier. Accroupi, les jambes croisées à la turque, la main ouverte, les doigts écartés sur les genoux, il récite cent cinq fois de suite la célèbre formule bien connue : « Il n’y a d’autre Dieu qu’Allah ! » Quand ils se réunissent pour prier, ils se forment en cercle et parlent à haute voix d’une façon cadencée.

En Algérie se trouve la confrérie importante des Chadelya. Elle nous est très hostile et elle a cru prudent de transporter son siège principal en Tripolitaine, où elle a changé son nom en celui de Madanya. Ce sont de véritables anarchistes, car ils bravent aussi bien notre autorité que celle du sultan de Constantinople. Leur nom, du reste, signifie « révolution. » Le fondateur était né en Espagne, d’où il vint pour prêcher au Maroc et en Algérie. Les adeptes se bornent à dire dans une journée cent fois : «Je demande pardon à Dieu; » cent fois : « Que les grâces divines soient sur le Prophète, » et mille fois : « Il n’y a d’autre Dieu qu’Allah! » Accroupis lorsqu’ils prient, comme les précédens, ils tiennent leurs yeux fermés; les genoux sont relevés, les bras passés autour des jambes et la tête baissée entre les genoux. Comme leur fondateur leur a dit d’obéir plutôt à un prêtre qu’à un souverain temporel, ils s’y conforment autant que cela est en leur pouvoir. Cette secte est la plus passionnée de nos ennemis.

Il est une troisième confrérie de l’Afrique septentrionale très importante, celle des Tidjanya, fondée aux environs de Laghouat, en 1780, par Sidi Ahmed-el-Tidjani. Elle est digne d’une attention particulière par ce fait qu’elle a montré parfois une sorte d’attachement pour nous en restant neutre quand d’autres Algériens nous combattaient. Abd-el-Kader, outré de son inertie, la châtia sévèrement. Elle attend, comme beaucoup d’autres, qu’Allah lui-même fixe le jour où nous devrons abandonner nos conquêtes en Afrique. Voici la prédiction sur laquelle se base cette croyance bien connue des Arabes : « Vous dominerez un jour tout le pays de l’est. Tout le pays d’Alger vous appartiendra. Mais avant que mes paroles s’accomplissent, il faut que cette contrée ait été possédée par les Français. Si vous vous en emparez maintenant, ils vous enlèveront votre conquête; si, au contraire, ils prennent le pays les premiers, le jour viendra où vous le reprendrez sur eux. »

Cette prophétie, dont la première phase s’est, en effet, réalisée, a été faite à la fin du XVIIe siècle. C’est au moins étrange.

Le gouvernement français a toujours très sagement protégé les confréries Tidjanya et rendu de grands honneurs à leurs chefs. On