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les colons à s’y livrer à l’élevage des bestiaux. Ils auront là, presque en vue de la France, des prairies superbes que nos compatriotes vont bien à tort chercher jusqu’en Nouvelle-Calédonie. Cela paraît d’autant plus probable que, depuis un ou deux ans, plusieurs Européens sont venus s’y établir. Jusqu’ici, tous les produits agricoles de la région, céréales, minerais, lièges, ont dû être transportés à Tunis, le débouché le plus voisin ; lorsque la ville de Bizerte sortira, ainsi qu’on le fait espérer, de l’inqualifiable abandon dans lequel on laisse son port, c’est Bizerte qui sera préférée, et pour plus d’un motif. Bizerte possède un lac d’une étendue immense et d’une profondeur telle que toutes les flottes du monde pourraient s’y mettre à l’abri ; en faisant communiquer le lac à la mer par une simple coupure dans le sable, nous aurions dans la Méditerranée, par conséquent sur la côte nord de l’Afrique, le port commercial et maritime qui nous manque. Il aurait sur le port de Malte, son voisin, l’avantage de faire gagner aux navires allant de Gibraltar à Port-Saïd quatre ou cinq heures de navigation, ce qui est beaucoup en mer. Pour attirer à Bizerte les cinq mille navires qui, chaque année, sont contraints de toucher à Malte, il faudrait de toute nécessité que Bizerte fût déclaré port franc. On y entrerait avec la certitude d’y trouver matière à un excellent ravitaillement : vins, céréales, poissons du lac ; ces choses s’y rencontreraient avec une abondance que le sol brûlé de Malte ne peut donner. Ce serait la ruine du port de cette île, ruine, du reste, prévue en Angleterre sans que, chose étonnante, cette probabilité y causât beaucoup d’émotion. Lord Granville a même été jusqu’à dire, dans une dépêche du 20 mai 1881 : « Je ne crois pas nécessaire d’approfondir la question de l’importance possible de Bizerte comme port de commerce. Je me bornerai à cette observation que, si le canal entre la mer et le lac était creusé assez profondément pour donner accès aux grands navires, les bâtimens britanniques auraient, d’après le traité de 1875, le droit d’y faire relâche sans être soumis à des droits supérieurs à ceux des navires français et tunisiens.

Revenons aux lignes ferrées préconisées par M. Michaud, lignes qui, au dire de personnes compétentes, auraient plus d’utilité que les routes empierrées actuellement en voie d’exécution[1]. Ne sait-on pas, en effet, qu’en Amérique, dans la région du far-west, des voies ferrées sont tous les jours ouvertes sur de grandes étendues sans que jamais l’on songe à percer des routes pour les piétons et les charrettes? Pourquoi n’en serait-il pas de même en

  1. Lettres sur la Tunisie, de M. Paul Bourde, au Temps.