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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/358

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solitaire, d’une sensibilité extravagante et maladive, constamment torturée par la plus sombre mélancolie, mais si passionnément curieux de tout progrès, et qui rêve toute sa vie de réformer l’éducation, les prisons et les hôpitaux, l’assistance publique et le gouvernement de son pays! Les heures où il sentait en lui ce qu’on a nommé depuis « la religion de la souffrance humaine » le consolaient des autres, et il écrivait : « Mon esprit est semblable à certains étangs que j’ai vus, qui sont remplis d’une eau noire et pourrie, et qui cependant, par les jours sereins, réfléchissent à leur surface les rayons du soleil. » De même encore le ministre George Grabbe, ce Hogarth de la poésie, le chantre démocrate des workhouses, l’ami des colporteurs, des bohémiens, des vagabonds, des escarpes et des voleurs, poète de forme rude et fruste, mais d’une éloquence si entraînante qu’elle arrachait un cri d’admiration à Byron lui-même, ce grand sceptique. Voilà d’austères précurseurs. Mais c’est vraiment d’eux que s’inspirait le groupe auquel il faut rattacher Coleridge. Ces idées de philanthropie, ce besoin de sympathie, de larmes et de pitié, cette disposition à tout voir avec je ne sais quelle grave et douce tendresse, qu’un Hume ou qu’un Diderot n’avait pas connue, — la révolution déchaîna tous ces sentimens. On réhabilita les déshérités, les parias de la société. On se préoccupa de l’enfance, qui n’était pas jusque-là matière à poésie et qui devint, pour Coleridge notamment, presque une obsession. Les animaux eux-mêmes furent tout à coup intéressans et poétiques. N’étaient-ils pas, en effet, suivant l’expression de Coleridge, «des monades de l’Esprit infini? » — « Le même grand cœur ne bat-il pas dans les plus basses créatures comme dans les plus relevées? Les créatures sans raison ne peuvent-elles, plus peut-être que les raisonnables, avoir ces idées innées, ce souvenir d’un état antérieur, cette prévision d’un état futur, obscurcie parfois chez l’homme peu cultivé? » On reconnaît l’idée de la métempsycose, qui lui fut toujours chère, — à ce point qu’il croyait parfois retrouver en lui des vestiges d’une première vie et que, quand il eut un fils, il écrivit un sonnet sur cette idée de Platon que, « notre âme existait quelque part avant de revêtir sa forme humaine. » C’est pourquoi il respectait et aimait très sincèrement (son journal en fait loi) tous les êtres de la création. Avec une simplicité touchante, il adressait une pièce de vers « à une feuille de myrte, » « à une fleur, » « à un jeune ânon dont la mère était attachée près de lui. « Il prenait, nous dit-on, en si grande pitié les ours de foires, les cochons de fait et même les araignées, que son ami Charles Lamb lui proposait en riant « d’entrer en correspondance régulière et poétique avec les animaux et insectes déshérités. » En 1792, un certain Taylor avait bien publié